Un road trip d’Ouest en Est : Les Wang contre le monde entier

Les Wang contre le monde entier, Jade Chang

ROAD-TRIP — Quelque part dans une rue chic de Bel Air, Charles Wang fulmine. Alors que sa nouvelle ligne de cosmétiques aurait dû être un triomphe, l’avènement de toute une carrière, ça a été un échec retentissant. Pire. À cause de cette idée pourtant géniale à ses yeux (proposer une gamme de cosmétique pour chaque origine ethnique), Charles Wang vient de tout perdre. Impuissant, il regarde la banque saisir sa maison, ses voitures, et tout son argent.

Car nous sommes en 2008, en pleine crise financière. Charles Wang était trop confiant et, sur un coup de poker, il a tout joué. Tout ce qu’il a gagné depuis son arrivée de Chine, des décennies auparavant. Alors Charles va se lancer dans un projet improbable : récupérer les terres que le gouvernement chinois communiste a confisqué à son père. Devenir, enfin, propriétaire terrien au seul endroit qui compte vraiment : la terre de ses ancêtres. Mais avant ça, puisque sa belle maison de Los Angeles vient de lui être ôtée, il lui faut traverser le continent jusqu’à l’état de New York, où vit sa fille, la seule de la famille à avoir encore un toit au-dessus de la tête. Les voilà dans une Mercedes fatiguée, prêts à prendre la route : au programme, la traversée d’ouest en est du continent américain ! Sa deuxième épouse, Barbra, en guise de copilote, son fils Andrew et sa fille Grace sur la banquette arrière, Charles Wang a bien décidé de rebondir !

Voilà encore que l’American Dream prend un coup dans l’aile ! Comme pour les deux héros de Voici venir les rêveurs, c’est la crise économique de 2008 qui a mis un frein aux ambitions américaines des Wang. L’Amérique, cette terre où chacun peut réussir, la patrie des self-made men, a trahi Charles Wang. À ses yeux, rien ne vaut la terre originelle : la Chine ! Mais pour ses trois enfants, tous les trois nés aux États-Unis et 100% américains (ils parlent par exemple un très mauvais mandarin), c’est une folie ! Et le lecteur n’est pas loin d’approuver.

Le roman de Jade Chang est porté par une galerie de personnages assez incroyables. On l’a vu, le patriarche est déjà en lui-même haut en couleur. Il a des idées fixes et beaucoup de préjugés, mais le lecteur finit par le trouver diablement attachant. Ensuite, la belle-mère : venue tout droit de Taiwan dès qu’elle a appris que la place était libre, elle s’est glissée en deux temps, trois mouvements dans le lit de Charles Wang après son veuvage. Depuis environ quinze ans, Barbra collectionne les signes extérieurs de richesse, comme un talisman contre la précarité de son enfance. Elle n’est pas méchante, Barbra : juste sévèrement matérialiste. À l’arrière, Grace fait office d’adolescente américaine typique, un brin pourrie gâtée, parfois insolente, révoltée en permanence, mais qui a plutôt bon coeur, au fond. Puisqu’il faut vivre avec son temps, Grace est blogueuse mode. En 2017, elle aurait fait une concurrente sévère pour les reines de beauté de Youtube, et aurait probablement passé sa vie sur Instagram. Mais en 2008, la jeune fille se contente de bloguer sévère. Andrew, le fils, est un idéaliste. Étudiant en faculté pour s’occuper (car, grâce à l’argent paternel, Andrew croyait qu’il n’aurait jamais vraiment à travailler), Andrew se rêve humoriste depuis un bref succès à un spectacle de sa fac, et attend le grand amour pour perdre enfin sa virginité.

Les Wang se dirigent vers les Catskills, où vit la grande soeur, Saina, exilée dans une ferme depuis que sa dernière exposition a fait scandale à Manhattan. Saina a déjà bien des ennuis dans sa vie : sa carrière artistique est au point mort, son ex-fiancé l’a quittée pour une maîtresse enceinte de ses oeuvres… Il ne manquait plus que l’arrivée de sa famille au grand complet, ruinée qui plus est !

Chemin faisant, alors que les Wang parcourent les roues d’Amérique, ils réapprennent à se connaître. Dans les moments compliqués, il faut savoir se serrer les coudes, malgré les conflits, les rivalités ou les déceptions. C’est un message plutôt optimiste que nous livre Jade Chang, le tout saupoudré de beaucoup d’humour ! L’humour est d’ailleurs prétexte à aborder de nombreux sujets d’actualité, comme les familles recomposées ou, malheureusement, le racisme (cheval de bataille des one man shows d’Andrew !).

Qu’y-a-t-il au bout du chemin ? C’est la question que se pose le lecteur tout au long du roman. Charles Wang retournera-t-il en Chine, triomphant, prêt à récupérer les terres de ses ancêtres ? Vous le découvrirez en vous plongeant dans cette odyssée familiale caustique.

Les Wang contre le monde entier, Jade Chang. Belfond, janvier 2017. Traduit de l’anglais par Catherine Gibert.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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