GÉORGIE — Quand vous prenez Les Saisons et les Jours entre vos mains, vous avez le sentiment de tenir un grand, grand roman : best-seller des années 30, prix Pulitzer en 1934, encensé par Margaret Mitchell (à qui l’on doit, rappelons-le, Autant en emporte le vent, tout de même !)… On se demande bien pourquoi on le découvre si tard !
Les Saisons et les Jours était en effet quelque peu tombé dans l’oubli, et c’est franchement dommage. Heureusement, Belfond Vintage a remis ce roman au goût du jour, et Pocket a poursuivi son oeuvre de démocratisation en le proposant en version poche. Voilà, vous pouvez enfin découvrir ce grand, grand roman, peut-être LE roman sur le sud. Oui, oui, osons-le : après tout, même Margaret Mitchell s’est accordée à le dire !
Dans Les Saisons et les Jours, Caroline Miller s’est attachée à dépeindre la vie des colons en Géorgie au début du XIXe siècle. À l’époque où la famille Carver s’installe dans cette nature sauvage et hostile, la Géorgie est un état brut, très peu peuplé car occupé il y a peu encore par les Indiens, où la vie est rude. Tout est à y construire. Vince et Seen Carver ont quitté leur famille, en Caroline, pour commencer une nouvelle vie loin de tout, un peu par bravade. Cela veut dire vivre en quasi autarcie, sans voisins à des kilomètres à la ronde, et se bâtir une vie à mains nues. Et la vie est dure, très dure.
Mais bien des années après leur arrivée, les Carver marient leur fille, Cean, qui sera la véritable héroïne du roman. Tout juste sortie de l’adolescence, Cean épouse Lonzo Smith, et emménage dans la maison en rondins qu’il a bâtie de ses mains. Nous suivrons Cean sur plusieurs décennies, jusqu’à la guerre de Sécession, et nous nous attacherons à la famille qu’elle construit avec Lonzo, tout en suivant l’évolution du reste de la fratrie Carver : Lias, Jake et Jasper.
C’est une histoire rude, parfois tragique, que nous conte Caroline Miller avec beaucoup d’empathie. Dans ces contrées reculées, il faut tout faire de ses propres mains. Il n’y a pas d’épicerie où aller faire ses courses quand les placards sont vides, d’hôpital quand on est malade ou même d’église où se recueillir. C’est la vie à la dure, comme l’illustre cette terrible anecdote de la vie de femme de Cean, obligée d’accoucher seule de son troisième enfant, et de tuer dans la foulée un puma qui s’était introduit dans la maison, attiré par l’odeur du sang. Il y a quelque chose de primaire, de brutal dans cette vie sans cesse sur le fil du rasoir : on devrait même davantage parler de survie que de vie à proprement parler, tant c’est un combat de tous les instants. Avant même trente ans, les Carver sont déjà presque vieux, tant ils sont malmenés par la vie. Et pourtant, ils ne sont pas malheureux. Des enfants naissent, les récoltes s’enchaînent, on se marie. La vie continue.
En imaginant la vie de ces colons, Caroline Miller entrelace l’histoire personnelle de ses personnages avec la grande Histoire. À l’instar des pionniers partis dans l’Ouest, ou des familles qui vont aller peupler les grandes plaines, les colons de Géorgie contribuent à leur manière à la construction du pays tout entier. Même si les Carver et leurs voisins vivent en autarcie, ils suivent tout de même les événements qui secouent le pays lors de leur voyage annuel à la Côté, quand les hommes de la famille vont en ville vendre le surplus de leur récolte, acheter ce qu’ils ne peuvent produire et communiquer avec le monde extérieur. Ainsi, la ruée vers l’or fera tourner la tête de l’un des frères Carver, et les premières rumeurs d’une guerre avec le Nord fera trembler les colons dès les années 1840. Le regard, parfois naïf, que les Carver et les Smith portent sur le reste du pays est très intéressant. Les réflexions des uns et des autres sur l’esclavage, LE sujet qui divise le pays tout entier à l’époque, sont ainsi symptomatiques…
Avec ce roman, Caroline Miller donne voix à une population qui a laissé somme toute assez peu de traces dans les manuels d’histoire. Si les Carver savent écrire, ce ne sont pas de grands épistoliers, ou de grands diaristes… Les colons de Géorgie ont laissés peu d’écrits de leur vie. C’est en quelque sorte un témoignage reconstitué que nous livre Caroline Miller, qui s’est ingéniée à combler les blancs. À l’époque de la parution du roman, les plus grands spécialistes se sont tous accordés à saluer le réalisme du roman, jusque dans le vocabulaire utilisé dans les dialogues…
Vous l’aurez compris, nous sommes absolument tombés sous le charme de Les Saisons et les Jours : c’est un très beau roman, profondément touchant, pour lequel nous avons eu le coup de coeur. Si vous aimez les fresques familiales et historiques, les récits qui parviennent à être émouvants sans tomber dans le pathos… ce livre est fait pour vous !
Soyez le premier à commenter