VIRGINIE — Les années 30 ont inspiré bon nombre d’auteurs américains, soucieux de rendre l’atmosphère pesante de la dépression économique. Katherine Mosby s’y essaie dans Sanctuaires ardents et montre, à travers l’histoire de la famille Daniels, la lente évolution d’un pays, de la frénésie des années 20 aux privations de la guerre, en passant par la crise économique de 1929.
L’arrivée de Vienna et Willard Daniels suscite l’émoi dans la petite ville de Winsville, dans le sud des Etats-Unis : il est l’héritier de la famille la plus riche du bourg, elle est belle et racée, typiquement nordiste. Willard, charmant et charismatique, attire tous les regards, et gagne l’admiration de ses pairs. Vienna, cultivée, aimant lire, les langues mortes, et l’Europe, suscite peu à peu une vague d’antipathie : elle est trop lointaine, presque prétentieuse, trop new-yorkaise pour cette petite ville qui se remémore encore très bien la guerre civile. Un jour, Willard part et abandonne Vienna, sa fille Willa encore bébé, et son fils à naître. Le destin commence à s’acharner sur les Daniels…
À travers le récit conté par Sanctuaires ardents, il nous semble ressentir la lourdeur de l’air de Winsville, il nous semble distinguer les vastes terres des Daniels, on croit même percevoir l’immuabilité de cette petite ville figée, qui pratique la sécession, le commérage à outrance et le jugement hâtif. Vienna, héroïne patricienne, qui se plaît à lire Ovide dans le texte, semble déplacée dans cet univers très rural. Pourtant, la jeune femme va s’attacher à sa terre et apprendre à aimer sa propriété, un grand manoir du Sud des Etats-Unis. Elle va s’y construire un foyer, avec ses enfants Willa et Elliott, deux petits sauvageons curieux de tout. Ils passent leurs journées à courir dehors et à étudier les animaux mais sont pourtant capables de discourir sur la géographie ou la poésie latine. Willa est capricieuse, autoritaire et audacieuse, Elliott est généreux, passionné par la nature et épris de savoir. Le domaine familial est leur territoire de jeux et d’expérimentations.
Vienna, autrefois jeune new-yorkaise surprotégée, devient une mère de famille responsable, veillant à ce que la maison soit correctement tenue par Fayette, la fidèle domestique du domaine, et à ce que les enfants deviennent des êtres sensés et cultivés. Les épreuves vont pourtant se multiplier, dès la fuite de son mari, parti en quête de simplicité, en la personne d’une femme qui ne lui tienne pas tête intellectuellement.
Katherine Mosby, grâce à la destinée tragique des Daniels, offre un regard critique sur les petites bourgades du sud des Etats-Unis, à une époque marquée par la crise économique et l’exode vers l’ouest. Vienna n’a jamais véritablement de soucis d’argent, et la grande dépression n’est pas un thème central du roman : cependant, l’évolution est presque palpable entre l’opulence de la jeunesse de Vienna, dans les années 20, et les tensions des années de guerre à la fin du roman. Vienna est le symbole de la fracture entre le nord et le sud, qui, plus de soixante ans après la fin de la guerre de Sécession, est toujours aussi vivace, elle est l’incarnation du déracinement d’une citadine dans une petite bourgade. Katherine Mosby, en un roman, a réussi à saisir l’ambiance d’une époque au bord du gouffre, où le changement tarde à se manifester en matière d’égalité, mais se hâte en ce qui concerne les mœurs.
Magnifique roman, Sanctuaires ardents ne peut que susciter l’émotion du lecteur, impuissant face à la détresse silencieuse de Vienna et admiratif devant son courage.
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