The Girls : souviens-toi de l’été 1969 !

The Girls, Emma Cline, La Table Ronde

PREMIER ROMAN — Sharon Tate est, près de cinquante ans après son assassinat, encore dans tous les esprits. Le meurtre de la jeune épouse de Roman Polanski, alors enceinte de huit mois, victime de Charles Manson et de ses adeptes, a à l’époque fait les gros titres de la presse. En 2016, il inspire deux romans : California Girls de Simon Liberati, et The Girls d’Emma Cline. Nous vous parlerons du second.

Un roman inspiré de faits divers

The Girls, ce sont ces très jeunes femmes qui, aveuglées par leur mentor, sont devenues des meurtrières à l’été 1969. Des jeunes filles en apparence innocentes, chaleureuses, insouciantes, capables pourtant de se muer en monstre sanguinaire. Evie Boyd, quatorze ans, aurait pu être l’une d’entre elles. Elle a côtoyé de près la communauté meurtrière. Devenue adulte, Evie reste profondément marquée par les événements tragiques de 69, qui lui ont valu une certaine célébrité un peu morbide.

En 1969, Evie n’était qu’une ado de quatorze ans un peu paumée, déboussolée par la séparation de ses parents, avide d’attention. Cet été-là, elle fait l’expérience de l’intérêt et du désir qu’elle peut susciter chez autrui. Lorsqu’elle s’entiche du grand frère de sa meilleure amie, elle se fâche avec celle-ci, qui refuse de continuer à la voir. L’été commence, et Evie est plus seule que jamais. Elle est aussi désoeuvrée, attendant désespérément que quelque chose se passe. C’est à ce moment-là qu’elle rencontre Suzanne, une jeune femme qui la fascine. La première fois qu’elle la voit, elle perçoit une jeune femme libre, malicieuse, rebelle. Suzanne vit dans une communauté hippie, régie par des principes vaguement communistes, où on se partage tout… y compris la couche du « prophète », Russell. Evie, grisée par le sentiment d’appartenance, est prête à tout pour séduire Suzanne…

Bien sûr, qui connaît un peu le destin tragique de Sharon Tate ne manquera pas de remarquer les similitudes de l’intrigue d’Emma Cline avec les meurtres perpétrés par la bande de Charles Manson. Les grandes lignes sont les mêmes, jusque dans l’horreur : Emma Cline imagine ainsi une mère massacrée avec son fils, quand les adeptes de Manson ont tué une femme enceinte… On retrouve également la personnalité trouble de l’accusée principale du procès ultra médiatisé qui suivit, qui a très visiblement inspiré le personnage de Suzanne. Emma Cline s’est donc ingénié à infiltrer cette communauté, pour tenter de saisir son ambiance, le cheminement de ce groupe meurtrier. Quel meilleur observateur qu’une nouvelle venue dans l’équipe ?

The Girls, Emma Cline, La Table Ronde

Tendre adolescence…

The Girls est un roman puissant, sur l’adolescence et la naissance du fanatisme. Evie est à un âge tendre où on est facilement impressionnable : elle brûle de trouver sa place, d’être acceptée parmi les grandes. Isolée par le divorce de ses parents, jalouse de sa mère qui refait sa vie, Evie se rebelle, rêve d’être considérée comme une adulte. À ses yeux, être traitée comme une adulte passe par la drogue, l’alcool, la sexualité. Elle joue avec le désir qu’elle suscite autour d’elle, qu’il s’agisse du frangin de sa BFF ou de Russell… Mais c’est Suzanne qui la fascine le plus. Evie voudrait Suzanne, elle voudrait ÊTRE Suzanne. Emma Cline montre avec beaucoup de talent la progression de cette relation déséquilibrée, menée par un personnage trouble, à la fois séduisant et inquiétant. Lorsque Suzanne révèle son vrai visage, froid, meurtrier, inhumain, le lecteur frissonne et l’admiration que lui voue Evie vacille.

Naissance d’un drame

Emma Cline montre avec brio l’influence grandissante que Russell a sur ses « girls », et celle que Suzanne a sur notre jeune narratrice. C’est la psychologie de tout un groupe qui est disséquée dans ce roman : comment une simple communauté hippie peut devenir criminelle ? Russell, dès les premières fois où il est évoqué, apparaît comme un être miraculeux, qui sait tout, a tout vu. On lui prête un charisme impressionnant, du talent à en revendre. C’est certain, Russell va accomplir de grandes choses ! Evie est séduite, bien sûr, mais pas autant que par la belle Suzanne… Le lecteur, lui, est de plus en plus mal à l’aise. Evie devient un pion, un objet, un simple corps aux yeux de Russell et sa bande. C’est l’innocence que l’on détruit peu à peu. Le lecteur, lui, assiste fasciné, horrifié aux événements qui mèneront au massacre final. Une des scènes les plus marquantes du roman, ce sont ces minutes silencieuses et graves dans la voiture qui mène la troupe au manoir de leur victime. Pour un premier roman, c’est réussi !

The Girls, Emma Cline. La Table Ronde, août 2016. Traduit de l’anglais par Jean Esch.

 

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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