
THRILLER — « Je t’ai trouvé sur MyFace » : l’autocollant, bleu, nargue les forces de police new-yorkaises : un assassin sévit dans les rues de la Grosse Pomme et prétend avoir trouvé ses victimes sur ce réseau social en vogue. Mais qui est-il vraiment ?
Ça, le lecteur le sait d’emblée : il s’agit d’Arjun, un publicitaire surdoué venu tout droit d’Inde. Sur le papier, Arjun est l’incarnation même du rêve américain. C’est l’immigré qui a réussi, en passe de conquérir le pays où tout est possible. Mais le jeune homme cache aussi une sombre facette. Un jour, il poignarde une de ses anciennes collègues, dont il était amoureux. Très froidement, Arjun décide de brouiller les pistes en faisant passer ce meurtre pour l’oeuvre d’un serial killer. Bien sûr, cela signifie qu’il devra commettre d’autres meurtres. Mais n’est-ce pas là l’occasion de se venger de tous ceux qui l’ont contrarié ?
Arun Krishnan allie un héros qui n’est pas sans rappeler Patrick Bateman, le héros d’American Psycho à une thématique très actuelle, les dérives des réseaux sociaux, dans un cadre passionnant : New York. Tout est donc réuni pour un récit délicieusement noir à souhait !
Le héros mis en scène dans Indian Psycho est un jeune homme étonnant. Brillant au travail, plutôt timide, Arjun couve en réalité une profonde colère. L’idée de commettre des meurtres en série ne semble pas l’émouvoir plus que ça : il semble même prendre un malin plaisir à construire son personnage et à mener le NYPD en bateau. Il est tantôt étourdi et irréfléchi, tantôt très prévoyant et calculateur. Le lecteur aura parfois du mal à le cerner : mais ça n’en est que plus intéressant ! Malgré sa violence et son côté psychopathe et manipulateur, Arjun est étrangement attachant : à son grand désarroi, le lecteur a envie de le voir s’en tirer. Son évolution psychologique est très bien traitée : on devine sans peine ce qui l’a mené sur ce chemin tortueux, et on le voit peu à peu s’habituer à l’idée d’ôter la vie à un être humain… Arjun devient peu à peu déconnecté des relations humaines, s’octroyant le droit de vie ou de mort sur des gens sélectionné sur des critères somme toute très arbitraires. Il met le doigt dans un engrenage terrible.
Idée géniale d’Arun Krishnan, Arjun imagine un tueur en série qui traque ses proies sur MySpace, ce réseau social bien entendu inspiré de Facebook, où les utilisateurs n’hésitent pas à étaler des informations très personnelles… comme leur adresse exacte. C’est une véritable mine d’or pour un serial killer ! C’est aussi l’occasion pour le personnage de réfléchir à l’image que l’on donne de soi sur les réseaux sociaux, sur le côté faux et calculé de n’importe quel profil Facebook. Arun Krishnan va jusqu’à imaginer la réaction de la population face à cette menace venue du net. La satire est féroce, le constat sans appel : nous en disons bien trop sur la toile.
Enfin, l’auteur nous propose une version désenchantée de l’American Dream. Arjun, c’est le rêve américain qui tourne court. Il aurait pu être le roi de New York : sa carrière est une véritable réussite, et dans cette ville de gratte-ciels, il pourrait enfin s’épanouir loin de sa toxique mère adoptive. Comme il le souligne lui-même, Arjun est l’incarnation même de l’immigré travailleur et reconnaissant. Mais cette ville carnivore fera finalement de lui un meurtrier et le déshumanisera peu à peu…
Indian Psycho se dévore avec une sorte de fascination un peu morbide : on ne peut que saluer le talent de l’auteur, qui parvient à nous attacher à un personnage qui a tout du psychopathe en puissance. Personnage trouble, profondément dérangé, Arjun se hisse sans problème au panthéon des serial killers de fiction les plus intéressants !
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