THRILLER — Si je vous demandais de citer le nom d’un auteur qui utilise un pseudonyme pour écrire des romans qui ne correspondent pas vraiment à ce qu’il fait d’ordinaire, vous seriez tous en mesure d’en citer au moins un ou deux, comme J.K. Rowling, Romain Gary, Stephen King… ou Joyce Carol Oates elle-même. C’est de ce point de départ à première vue classique que Joyce Carol Oates part pour tisser la toile de son intrigue. Elle imagine un auteur populaire qui produit années après années de gentils petits romans policiers qui finissent bien et se vendent encore mieux. En somme, une sorte de Mary Higgins Clark.
Notre auteur, Andrew J. Rush, est un homme bien sous tout rapports. Bon père de famille, bon citoyen, le quinquagénaire est la fierté de son petit village du New Jersey. Impossible de croire, donc, qu’il se cache sous le pseudonyme du Valet de pique, cet auteur de romans violents, pervers, trash ! Impossible, vraiment ?
Et pourtant, si ! Andrew dissimule à ses proches, à ses éditeurs, à son agent qu’il est en réalité cet auteur anonyme underground, à la réputation sulfureuse. Jusque là, tout va bien, ses deux personnalités littéraires cohabitent très bien. Mais la plaine d’une voisine, une héritière un peu zinzin, qui l’accuse de plagiat va tout chambouler et le château de cartes soigneusement élaboré par Andrew va peu à peu s’écrouler…
Il y a un côté étonnamment jubilatoire dans la lecture de ce roman, à mesure que l’on prend conscience de l’ascendant que le Valet de pique a sur Andrew. La voix du Valet se fait de plus en plus forte et son emprise sur Andrew est de plus en plus indéniable. Et le Valet, à l’image de ses romans, est un être pervers, décadent, sans scrupules, dont les souhaits vont tout bonnement à l’encontre de ceux d’Andrew : c’est en quelque sorte son Mr Hyde. L’atmosphère se tend sensiblement quand Andrew, vaincu, commence à prêter une oreille attentive au Valet et à se mettre en péril. Joyce Carol Oates montre bien le cheminement mental de son héros, perdu entre ces deux personnages la scène littéraire qu’il incarne : quand il en vient à envisager ses propres romans comme « ceux d’Andrew J. Rush », plutôt que comme les siens, le lecteur se demande si Andrew n’est pas tout simplement schizophrène… Joyce Carol Oates explore ses failles avec subtilité, nous laissant apprécier chaque fêlure de son personnage jusqu’à ce que se dessine le traumatisme initial.
Ce thriller angoissant, qui fait la part belle aux petites voix qui, dans l’ombre, nous chuchotent parfois des atrocités, ne ressemble pas vraiment à ce que fait Joyce Carol Oates d’ordinaire. En réalité, on peut trouver une certaine ressemblance entre son style dans ce roman et… celui de Stephen King, qu’elle cite abondamment dans cette histoire. Andrew, en effet, est considéré par la presse comme « Le Stephen King du gentleman », et notre héros se réfère souvent à celui-ci dont il est un peu jaloux, et qui intervient même de manière minime dans l’intrigue. La manière dont notre héros, écrivain, se laisse influencer par une petite voix tout en buvant whisky sur whisky rappelle Shining, le chat de Mme Haider qui semble le hanter rappelle le chat de Simetierre, ou même la description de la vie dans une petite ville de la campagne américaine évoque celle qu’en fait King… C’est peut-être pour cela que j’ai tant aimé ce roman, moi qui ne suis d’ordinaire pas une grande fan des livres de Joyce Carol Oates.
Celui-ci est véritablement magistral. On en tourne les pages à toute vitesse, et, comme Andrew, on se fascine pour la personnalité étonnante et trouble de Mme Haider, pour sa bibliothèque bien garnie, pour ses écrits mystérieux qui rappellent de manière étrange d’autres romans publiés ultérieurement… Voilà donc un roman qu’on vous conseille vivement !
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