FANTASY — Anthony Ryan est un auteur écossais de fantasy et de science-fiction dont le premier roman, Blood Song – initialement publié à compte d’auteur ! – lui a assuré un franc succès et lui a permis de vivre entièrement de sa plume, ce qui n’est pas si fréquent qu’on pourrait le croire. La trilogie Blood Song étant achevée (et la parution en français aussi), il s’est lancé dans une autre série, dont on vous parle aujourd’hui : Dragon Blood.
Le Syndicat du Négoce d’Archefer contrôle d’immenses territoires, dans lesquels rien n’est plus prisé que le sang des dracs. Ponctionné à même les veines de l’animal (gentiment vidé de son sang dans l’affaire, bien sûr), le précieux sang est distillé afin de confectionner des élixirs, dont les effets dépendent de la race du dragon qui l’a fourni. Et ce sang accorde des pouvoirs incroyables aux rares hommes et femmes connus sous le nom de Sang-bénis, les seuls à pouvoir consommer le sang de dracs sans en mourir.
Malheureusement, les lignées de dracs s’affaiblissent peu à peu et leur extinction précipiterait à coup sûr la guerre contre l’Empire corvantin voisin. Au sein du Syndicat, on s’accroche donc à ce qui ressemble à une chimère : la découverte salvatrice d’une nouvelle variété de drac, bien plus puissante que toutes les autres.
C’est ainsi que Claydon Trocreek, voleur de bas étage et Sang-Béni non déclaré est enrôlé de force par le Protectorat et envoyé dans les entrailles du continent primitif d’Arradsie, berceau des dracs, sur la trace du légendaire drac Argent. Lizanne Lethridge, espionne du Protectorat doit quant à elle assurer une mission en territoire corvantin ennemi tout en servant d’agent de liaison à Clay. Corrick Hilemore, enfin, sous-lieutenant sur un croiseur d’Archefer, écume les flots à la poursuite de pirates… une mission qui pourrait ne pas être sans rapport avec la précédente.
Chacun à sa façon devra lutter pour inverser le cours de la guerre qui s’annonce… ou bien s’engouffrer et périr dans son sillage.
Eh bien, difficile de savoir par où commencer tellement ce livre est riche !
L’auteur a choisi de nous faire suivre, tour à tour, les trois personnages cités ci-dessus : si les aventures de Clay et Lizanne sont clairement liées, celles d’Hilemore viennent offrir une petite bouffée d’air frais – maritime. Bien que tous trois soient issus d’Archefer, on suit les préparatifs de la guerre avec des points de vue de tous bords, Lizanne étant sous couverture chez les corvantins : ce qui permet de mieux comprendre les tenants et aboutissants d’un conflit pour le moins compliqué.
L’univers semble être empreint de différentes influences : les aventures de Clay ont un indéniable petit côté Indiana Jones en goguette dans la jungle ; celles de Hilemore convoquent les histoires de pirates les plus fameuses ; celles de Lizanne, de son côté, présentent un intéressant mélange entre Miss Marple et James Bond. Ça vous semble improbable ? Soyons clairs, ça l’est. Mais cela fonctionne à merveille, ce qui rend le roman d’autant plus prenant, car tout cela est cimenté par une ambiance steampunk extraordinaire. Les machines qui sortent des usines d’Archefer, le contrôle accru que le Syndicat exerce tant sur le commerce que sur les individus a des petits relents de révolution industrielle, laquelle est soutenue non pas par les machines à vapeur (comme dans du steampunk classique), mais par le sang des dracs. Plus que du steampunk, on pencherait plutôt vers de la gaslamp fantasy (un sous-genre du steampunk, qui en partage l’esthétique, qui permet de faire cohabiter magie et avancées technologiques). Mais quels que soient les gadgets employés (moteur révolutionnaire, pistolet arrangé par le Mr. Q. local ou héliographe convoité), on passe de la flotte du protectorat aux ruelles malfamées en faisant un crochet par la jungle hostile, le tout avec une aisance confondante !
J’ai déjà parlé du fait que l’on suivait successivement les trois personnages : cela permet à l’auteur de garder le lecteur sur des charbons ardents. Pas en permanence, mais pas loin, l’auteur ayant la fâcheuse habitude de laisser ses personnages, en fin de chapitre, soit en mauvaise posture, soit en passe de l’être. Difficile, donc, de s’arrêter après le traditionnel « Je termine juste ce chapitre ! ».
Par ailleurs, plus l’on avance dans le roman, plus l’auteur nous surprend avec des révélations qu’on n’attendait pas – ou pas encore. Ce qui fait que le roman dispose d’une vraie fin – certes parfaitement ouverte, mais conclusive tout de même. Ainsi, on est à la fois frustré de devoir quitter l’univers en attendant la suite, mais tout de même soulagé d’être parvenu à une semi-conclusion : un équilibre qui n’est pas facile à atteindre mais qui, ici, fonctionne tout à fait.
Il faudrait aussi parler de tous les thèmes qui surgissent au détour des pages : tous ne sont pas traités à la même hauteur, certes, mais l’auteur brasse une foultitude de sujets qui ne font que rendre le roman et l’univers plus passionnants. Car il sera tour à tour question d’impérialisme, de colonialisme, d’écologie (avec toute la question de l’épuisement des ressources) et de facture écologique, de racisme, de la place des femmes dans la société, de lutte des classes ou encore des dérives du capitalisme. Et le meilleur, c’est que chacun de ces sujets se marie parfaitement à l’intrigue initiale.
Anthony Ryan signe donc un premier tome particulièrement prenant, qui offre en plus un très bel hommage aux littératures populaires (d’aventure et d’espionnage, notamment), tout en troussant une intrigue fort consistante, dans un univers qui ne l’est pas moins. Inutile de préciser qu’on attend désormais la suite !
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