VIRGINIE — Nous avions lu et aimé La Colline aux esclaves, et c’est avec joie que nous avons retrouvé l’univers de Kathleen Grissom dans Les Larmes de la liberté.
En 1810, Jamie Pyke, fruit d’un viol (et d’un inceste !) sur une plantation, s’enfuit de Virginie pour échapper à la terrible perspective de l’esclavage. Parvenu à Philadelphie, terre de liberté, le jeune garçon, suffisamment blanc de peau pour pouvoir faire illusion, devient le fils adoptif d’une riche famille. Vingt ans après son arrivée au nord, James Burton est devenu un artiste respecté. Mais le jour où sa maîtresse, une jeune femme de bonne famille, tombe enceinte, James panique : et si l’enfant, en naissant, révélait le secret du père ? S’il naissait de couleur ?
En parallèle, Henry, un ancien esclave qui a autrefois aidé Jamie sur la route de la liberté, sollicite l’aide de notre héros. Son fils, Pan, âgé de seulement douze ans, a été kidnappé par un marchant d’esclaves et envoyé au sud pour y être vendu. James va donc retourner dans la partie esclavagiste du pays… au risque d’être reconnu et de tout perdre.
Ce roman, bien qu’étant la suite de La Colline aux esclaves, peut se découvrir tout à fait indépendamment : l’auteur se charge de quelques rappels salutaires, et le lecteur comble rapidement les blancs. Au centre du récit règne la question de l’identité et de la manière dont les autres nous perçoivent. Aux yeux du monde, James est blanc et riche, avec tous les privilèges que cet état de fait lui apporte dans l’Amérique de 1830. Mais techniquement, et bien que sa peau soit pâle, selon les critères des esclavagistes, il ne l’est pas : sa mère était métisse, et c’était une esclave. James s’est pourtant presque toujours considéré comme blanc : il a été élevé comme tel sur la plantation, par sa grand-mère, jusqu’à ce que son père décide subitement de le vendre. De retour dans le sud, quand les choses vont mal tourner pour lui (car, et il ne s’agit pas d’une surprise, les choses tournent effectivement mal pour lui), James va découvrir ce que c’est que d’être un esclave traqué, de perdre son statut social et la sécurité que constitue l’argent, et voire l’identité qu’il s’est construite se désagréger. Le cheminement psychologique du personnage est assez intéressant à observer : déchiré entre ces deux représentations de lui-même, James va devoir regarder son passé en face.
C’est par ailleurs un roman bourré de suspense, où le danger se fait omniprésent au fil des pages : le sud apparaît bientôt comme un sombre bourbier où notre héros avance en terrain miné. Le portrait que l’auteur dresse de l’esclavage est réaliste et impitoyable : maîtres cruels et chasseurs d’esclaves cupides sont bien sûr au rendez-vous, mais elle nous livre également quelques beaux portraits d’abolitionnistes ! L’ancrage historique reste soigné : nous sommes bien avant la guerre de Sécession, et la manière dont les mentalités restent encrassées, tant au nord qu’au sud, est bien montrée par l’auteur. Peut-être peut-on espérer retrouver la fille de James à l’aube de la guerre civile, dans un prochain roman ?
Suite efficace de La Colline aux esclaves, ou page-turner indépendant : à vous de voir comment vous voulez appréhender Les Larmes de la liberté ! C’est indéniablement un roman très divertissant, avec des personnages bien brossés qui confirme ce que nous avions déjà deviné avec La Colline aux esclaves : Kathleen Grissom est une excellente conteuse !
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