INDE — Roman fleuve qui suit un couple des années 1870 jusqu’à la seconde guerre mondiale, Les Collines du Tigre, que j’ai emprunté complètement par hasard à la bibliothèque, était une bonne surprise à plus d’un titre. On vous en parle plus en détails sur Café Powell !
Dans le pays de Coorg, une province du sud de l’Inde, les Nachimanda accueillent une fille pour la première fois depuis des décennies. La petite, prénommée Devamma puis surnommée Devi, naît au terme de la septième et dernière grossesse de sa mère, qui n’avait pourtant jusque là qu’un seul petit garçon. Même si l’enfant semble vigoureuse, la mère ne peut s’ôter d’un sombre pressentiment : un sombre destin attend cette enfant. Malheureusement, l’avenir lui donnera raison.
Devi grandit, devient une enfant volontaire et solaire, elle entraîne tout le monde dans son sillage, et en particulier Devanna, un petit garçon recueilli par les siens après le suicide de sa mère. Devamma et Devanna : presque le même prénom et une enfance à être inséparables. Pour tout le village, c’est certain : ils seront toujours liés. Mais Devi, elle, a d’autres plans : depuis qu’elle a vu le cousin de Devanna, Machu, le célèbre tueur de tigres, elle le sait : c’est lui qu’elle épousera… C’est là que tout se complique.
Roman courant sur plusieurs générations, Les Collines du tigre suit comme fil rouge la relation entre Devi et Devanna, cristallisée autour d’un drame qui fera basculer au moins trois vies. C’est un roman qui porte haut le sens du tragique, qui déroule adroitement la notion de destin inéluctable : tout semble pousser les protagonistes jusqu’à cet instant où tout va changer pour le pire. C’est absolument terrible. Après ce point de rupture, le roman se plonge dans la psyché de ces personnages profondément malheureux et montre comment le drame originel rejaillit impitoyablement sur la génération suivante.
Mais Les Collines du tigre n’est pas qu’un roman sur des amours contrariées, sur la trahison qui saccage tout et le devoir qui prime sur le bonheur : c’est aussi un roman fouillé qui montre l’impact du traumatisme, comment les victimes peuvent se muer en bourreaux, comment on peut être hanté toute sa vie par une seule heure de folie. Dans ce maelstrom de sentiments qu’on doit enterrer au plus profond de soi émerge l’ambition d’une femme à une époque où celles-ci n’étaient que mères et épouses. Devi est combattive et déterminée : elle liera son destin à une terre agricole, les fameuses Collines du Tigre et montrera à tout un chacun qu’elle est capable de prospérer.
Pendant ce temps-là, le lecteur suivra l’évolution de l’Inde toute entière, à travers le microcosme de Coorg : l’impact de la première guerre mondiale, l’émergence de Gandhi et du mouvement pour l’indépendance de l’Inde… Le roman s’arrête à peine sept ans avant que l’Inde ne quitte définitivement le giron britannique, mais décrit tout de même avec précision l’évolution des mentalités au sein de la communauté, la défiance progressive, les colons qui partent, et enfin, la violence avec le meurtre de l’épicier allemand lors du saccage de son magasin… En parallèle, Les Collines du Tigre décrit le choc perpétuel entre la modernité à l’occidentale (les clubs, les coupes à la garçonne typique des années 20, les robes décolletées qui remplacent les saris) et la tradition (les mariages arrangés, les pèlerinages religieux, les rites funéraires…). Appu, membre de la dernière génération, montre bien ce clash permanent entre les deux mondes. Des étoiles dans les yeux, il découvre le Berlin libertin de l’entre-deux guerre, l’amour libre, la drogue et la fête éternelle, alors qu’à la maison l’attend sa fiancée pure et innocente. Une fois de retour au pays, il rêve de s’amuser au Club avec d’autres jeunes qui vivent à l’occidentale, tandis que sa femme s’en détourne peu à peu, choquée par les discussions grivoises, et les moqueries des autres femmes…
C’est un excellent roman que nous livre ici Sarita Mandanna, un livre comme on les aime qui allie l’intime à l’Histoire, et sait insuffler juste ce qu’il faut de tragique pour serrer le coeur du lecteur. Une excellente surprise.
Les Collines du tigre, Sarita Mandanna. J’ai lu, 2011. Traduit de l’anglais par Martine Leroy-Battistelli.
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