Possession, entre horreur et téléréalité…

Possession, Paul Tremblay

MASSACHUSETTS — Ce titre est arrivé dans notre bibliothèque auréolé d’une réputation très élogieuse : comparé à Rosemary’s Baby et L’Exorciste, décrit comme le livre le plus effrayant de l’année par un des plus grands quotidiens britanniques et enfin, adoubé par Stephen King lui-même, Possession promettait du haut niveau, du très haut niveau ! Après tout, pour effrayer Stephen King, il faut y aller, non ?

N’allez pas me faire croire que je suis plus courageuse que le maître de l’horreur. Pourtant, à la lecture de Possession, je n’ai pas eu particulièrement peur. Certaines scènes suscitent le malaise, il est vrai, mais ce n’est rien pour qui a lu Ça ou Salem ! Petite déception, donc, de ce côté-là. Mais de quoi ça parle, sinon ?

La famille Barrett est en apparence tout ce qu’il y a de plus ordinaire au sein de la middle-class américaine. Des parents, et leurs deux filles, Marjorie et Meredith, dite Merry. Le papa est au chômage et ils vivent dans une banlieue tranquille, non loin de Boston. Mais un jour, l’aînée, Marjorie, commence à se comporter très bizarrement. Comme si elle était possédée. Dans un premier temps, les parents Barrett font ce qui est logique : ils emmènent leur ado chez le psy. Mais vu que les manifestations de bizarrerie se multiplient chez Marjorie, les parents en viennent à des moyens moins traditionnels : la télé-réalité et l’exorcisme.

L’histoire nous parvient par la voix de Merry. L’auteur a choisi une narration interessante car elle entremêle les constats adultes, presque cliniques de Merry à vingt-trois ans et son vécu à huit ans. Ainsi, c’est la petite fille qui, grâce à son rôle de témoin privilégié, nous raconte l’histoire, avec quelques parenthèses plus critiques proposées par sa version adulte, qui a quinze ans de recul pour apprécier les événements. Paul Tremblay a plutôt bien conçu la construction de sa narratrice : à la Merry adulte les remarques plus analytiques, à sa version enfant la spontanéité. Il se coule plutôt bien dans la peau d’une gamine de huit ans : on la voit ainsi jouer, s’ennuyer, embêter ses parents, s’interroger, agir, en somme, comme une fillette tout à fait crédible. Crédible également sa relation avec Marjorie. Marjorie, c’est la grande sœur qui fascine. Déjà, car elle est plus vieille, elle est aux portes de la féminité (elle a quatorze ans) et elle sait des choses. Ce que Merry aime particulièrement, c’est quand Marjorie lui accorde de l’attention et lui raconte des histoires.

Les histoires de Marjorie sont au cœur de l’intrigue. Tout d’abord, elles sont innocentes et plutôt mignonnes : ce sont des contes qu’une grande sœur invente pour sa cadette. Elle imagine ainsi les aventures d’un chat coincé par la mélasse, aidé à s’en dépêtrer par une colonie de fourmis. C’est chou non ? Un peu plus tard, la mélasse refait son apparition. Marjorie conte a sa cadette l’histoire d’une petite fille qui vivait à Boston le jour où un énorme réservoir de mélasse a rompu et où la substance s’est répandue dans la rue. Ici, plus de chaton reconnaissant et de fourmis bienveillantes, juste un fait divers réel et l’horreur de Merry quand elle comprend que la fillette de l’histoire a en réalité perdu la vie dans cet accident. Les histoires de Marjorie se font alors cruelles, violentes, perturbantes. Pire, elles poursuivent Merry hors de la chambre de Marjorie, dans son propre refuge. Ainsi, l’histoire terrible et prémonitoire des « choses qui poussent » envahira l’univers de Merry, quand elle découvre que Marjorie a été jusqu’à dessiner lesdites choses sur la maison en carton qu’elle garde dans sa chambre.

Dès lors, Marjorie devient une sœur peu fiable, effrayante. Malgré cela, Merry, d’un naturel facile comme le laisse supposer son surnom (Merry signifiant « joyeux » en anglais), continue à répondre à ses sollicitations. C’est là, sans doute, qu’on aurait dû avoir peur : quand Marjorie pète un plomb et joue des scènes dignes de L’Exorciste. Mais le lecteur reste étrangement à distance. Peut-être attendait-il une horreur plus franche, une excursion assumée dans le fantastique.

On salue l’idée d’avoir introduit la télé-réalité dans la vie des Barrett, comme le recours de plus en plus pressant du père à la religion. Ceci n’était pas vraiment original, mais l’idée de mettre en scène la guérison de Marjorie sous le feu des caméras l’était. Ça introduit un côté malsain supplémentaire à l’intrigue, ainsi que de nouvelles sources de friction entre les parents Barrett, déjà bien aux abois financièrement parlant. Possession, c’est aussi et surtout l’histoire d’une famille au bord de l’implosion… et dont les malheurs se retrouvent dévoilés au monde entier.

Possession ne renouvelle clairement pas le genre, même s’il fourmille de bonnes idées (les interludes sous forme de posts de blog décortiquant la télé-réalité en sont une, par exemple) et propose un portrait troublant d’adolescente en crise. Paul Tremblay aurait sûrement pu aller plus loin. On a en effet souvent l’impression qu’il reste en surface des choses. Marjorie aurait pu être plus effrayante… ainsi, on se demande comment Stephen King vit ses propres romans, car s’il est effrayé par Possession… on lui souhaite bon courage pour vivre avec le souvenir d’avoir inventé Pennywise !

Possession, Paul Tremblay. Sonatine, mars 2018. Traduit de l’anglais par Hubert Tézenas.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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