POLAR — Chaque année, des centaines de milliers de personnes disparaissent volontairement sans laisser de trace, notamment au Japon. On les appelle “les évaporés”. Et si une mystérieuse entreprise proposait également ce service en France ? Cette idée est donc le point d’ancrage du dernier roman — Respire — de Niko Tackian, qui nous emmène aujourd’hui au bout du monde.
Imaginez une plage de sable blanc, l’océan turquoise à perte de vue. Voici ce que découvre Yohan à son réveil : un endroit paradisiaque où il va pouvoir entamer une nouvelle vie et avoir une deuxième chance d’être heureux. Pour arriver sur cette île inconnue, il a signé avec une mystérieuse société qui promettait de le faire disparaître et d’effacer toute trace de son passé. Les premiers jours, Yohan savoure son insouciance retrouvée. Il renoue avec le plaisir d’écrire, retrouve un rythme de vie sain et profite de la nature environnante. Mais rapidement, un sentiment d’étrangeté le gagne. L’île héberge une dizaine d’habitants plus énigmatiques les uns que les autres et qui n’interagissent que pour le strict minimum. Pourtant les maisons abandonnées et les échoppes désertes laissent penser qu’un jour ils ont été bien plus nombreux. Où sont donc passés les autres ? Yohan veut comprendre. Mais quelqu’un cherche par tous les moyens à l’empêcher de découvrir l’envers du décor.
Quand tout va de travers et que le quotidien nous écrase, il peut être tentant de tout plaquer et recommencer ailleurs, loin de ses peines, de ses tracas et de ses erreurs du passé. Disparaître des radars, ne manquer à personne et acheter une nouvelle vie : c’est ce que propose l’agence Blue Skye, moyennant finance. Sans retour possible. Après des recherches sur le dark net, Yohan se laisse donc tenter par cette solution et se réveille sur une île, sans possibilité de s’enfuir, affublé d’une nouvelle identité et d’un certain rôle à jouer au sein de la communauté. Il sera en effet le nouveau … détective. Et ça tombe bien : Yohan est curieux, mais surtout, il se passe des choses très étranges sur cette île. Une présence qui les observe, des maisons abandonnées, des limites à ne pas franchir. Mais pourquoi ? Qu’est ce qu’une société comme Blue Skye aurait à y gagner ? Commence alors un huis-clos (grâce à la topologie de l’île) haletant, qui s’éloigne du polar traditionnel et mélange astucieusement introspection et enquête. Une recette originale et qui fonctionne, malgré une fin un peu déstabilisante. Mais ça, c’est à vous de le découvrir !
L’auteur joue avec les codes et multiplie les références littéraires et cinématographiques, qui sont comme un fil rouge dans notre lecture. Classiques ou modernes, explicites ou sous-entendues, elles participent à créer cette atmosphère de paranoïa à travers une sensation étouffante de “déjà-vu”. On sent bien que quelque chose se trame et cela fait monter la tension. Le rythme est d’ailleurs plutôt bien géré grâce à des chapitres très courts qui permettent d’avancer très vite dans sa lecture. L’auteur a également intégré des moments d’introspection qui apparaissent comme des bulles suspendues et mettent momentanément le récit sur pause. Car peut-on vraiment faire fi du passé ? Disparaître est-il suffisant pour effacer ses erreurs ? N’amène-t-on pas nos défauts et nos vices dans nos bagages ? En conséquence, le lecteur pourra développer ses théories avant d’avoir le dénouement à la toute fin du roman.
Laissez-vous donc surprendre par Respire, qui s’éloigne du polar traditionnel pour proposer un savant mélange d’enquête et d’introspection bienvenu en ces temps si particuliers. Une couverture qui — si ce n’est le crâne humain— invite à l’évasion, un rythme prenant et des thèmes qui font réfléchir mine de rien : une très bonne combinaison pour attaquer 2022 avec une bonne lecture ! Et un auteur dont nous allons définitivement surveiller les parutions.
Respire, Niko Tackian. Calmann-Lévy, janvier 2022.
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