ROMAN — Le phénomène Harry Potter, j’ai littéralement grandi avec. Je suis née l’année où J. K. Rowling a eu cette célèbre épiphanie dans un train, qui deviendra plusieurs années plus tard le best-seller qu’on connaît, la même année qui a vu naître Emma Watson, l’interprète d’Hermione. J’étais en CM1 ou CM2 quand la Potter Mania a atteint la France. Ma mère m’a offert le roman en me glissant que c’était le livre dont tout le monde parlait. Je l’ai ouvert. Et je l’ai refermé presque aussitôt.
Oui, ma toute première rencontre avec Harry Potter n’a pas été concluante. J’ai trouvé les premières pages assez ennuyeuses. Mais je n’ai pas tardé à rouvrir le livre, à sauter ce premier chapitre peu engageant pour me plonger dans le feu de l’action. Et là, ce fut le coup de coeur : j’avais le sentiment magique (et que je n’ai jamais ressenti de nouveau depuis) de trouver là absolument tout ce que j’attendais de la fiction. À neuf ans, je me suis même levée aux aurores pour poursuivre ma lecture. J’ai enchaîné avec la lecture du troisième, puis du deuxième tome (oui, dans le désordre). Je les ai lus, relus. Lorsque le quatrième volume est sorti, en 2000, ça a été la première fois que je prêtai attention aux dates de sortie : j’ai traîné mes grands-parents un mercredi à la librairie, et j’ai dévoré La Coupe de feu dans la foulée. J’ai écrit à Gallimard Jeunesse (j’ai encore leur réponse !), j’ai rêvé d’écrire à mon tour sur l’univers de J. K. Rowling. Le cinquième tome ? J’ai même essayé de le lire en anglais alors que je n’avais que quatorze ans et que mon niveau n’était pas encore tout à fait suffisant. J’avais seize ans quand le dernier volume a été publié. Bref. J’ai grandi avec Harry Potter.
C’est ce phénomène éditorial d’ampleur mondiale que David Foenkinos utilise comme toile de fond dans Numéro deux, roman dans lequel il imagine le destin de Martin Hill, jeune Britannique qui aurait pu incarner Harry Potter à l’écran. Seulement voilà : c’est Daniel Radcliffe qui a finalement été choisi. Martin devra poursuivre sa vie en sachant qu’il a pu toucher du doigt son rêve, en sachant qu’il a échoué de peu, en se savant l’éternel second.
Cela peut paraître anecdotique mais Martin ressent durement son échec, qui, hasard des choses, précède de peu une tragédie familiale. Imaginez un peu : vous échouez, et êtes extrêmement déçus. Et tout, autour de vous,, vous rappelle constamment la triste réalité : vous n’avez pas été choisi, vous n’avez pas été assez bon. David Foenkinos étudie avec justesse la psychologie de l’échec, l’état de dépression qu’il entraîne, les rechutes face à des rappels constants. Il détaille avec précision les stratégies d’évitement, l’isolement social progressif et décrit ce que nous n’avons d’autre choix que d’appeler un traumatisme. Enfin, il se penche sur la question difficile de la reconstruction.
En plus de cette description incarnée d’un échec sans cesse ravivé par l’omniprésence du sujet dans la sphère médiatique, l’auteur brosse un portrait passionnant et méticuleusement documenté du phénomène Harry Potter. Bien sûr, la fiction comble habilement les blancs, puisque David Foenkinos donne voix à des personnages réels : vous croiserez ainsi J. K. Rowling ou Daniel Radcliffe eux-mêmes dans ce roman. Le lecteur est fasciné par la description presque documentaire des processus qui ont fait de l’histoire d’Harry Potter ce qu’elle est aujourd’hui.
Le tout est un roman qui, fort de son rapport étroit avec le réel, se lit à toute vitesse. Le style, élégant et efficace, n’y est pas pour rien : le lecteur est immergé d’emblée dans l’histoire. Pas de temps mort. C’est une réussite de bout en bout, tout simplement.
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