ROMAN AMÉRICAIN — Il y a dix ans, je lisais le premier roman de l’Américaine J. Courtney Sullivan, au titre équivoque : Les Débutantes. L’année suivante, j’avais le privilège de la rencontrer lors de sa venue à Paris. Depuis, je suis sa carrière littéraire, séduite par la finesse de son regard et de son écriture. Quand j’ai appris qu’elle sortait un nouveau roman, consacré à la maternité, j’ai foncé !
Car depuis notre rencontre en 2013, Courtney et moi sommes toutes les deux devenues maman : le thème m’intéresse donc énormément, surtout lorsqu’il est traité par une autrice aussi talentueuse ! Et celle-ci s’en tire une nouvelle fois avec les honneurs : ce qu’elle écrit de la parentalité sonne tellement juste, est tellement vrai que j’ai passé ma lecture à m’exclamer mentalement « mais oui !! » ou « amen ! » à toutes les pages ou presque. Elle allie son sens de la formule habituel à l’expérience vécue : la maternité, ça ne s’invente pas, ça se vit. Et on sent que Courtney se base sur son vécu, et beaucoup de petites choses font écho en moi. Il s’agit souvent de détails comme le fait que son héroïne, Elisabeth, se réveille quelques instants avant son bébé la nuit (ça m’a rappelé les premiers mois de mes filles !), le besoin irrépressible de bénéficier de la sagesse de parents plus expérimentés (« Quelqu’un dont l’enfant avait six semaines de plus que le sien était un prophète« , mais tellement vrai !), l’attrait des forums de mamans (les Brooklyn Mamas et les avrilettes 2018 de Doctissimo, même combat !). Mais J. Courtney Sullivan aborde des sujets plus profonds liés à la parentalité qui vous parleront également forcément, comme la charge mentale ou l’ambivalence maternelle (qui fait qu’on ne rêve que de les endormir pour la sieste, pour passer après deux heures à regarder des photos d’eux parce qu’ils nous manquent). Le dilemme entre « rester à la maison et les garder » ou « les faire garder et travailler » est bien évidemment au coeur du récit, puisque ce roman traite de l’amitié entre Elisabeth, jeune maman, et Sam, sa nounou.
Elisabeth a été une journaliste auréolée de succès. Aujourd’hui, elle est une autrice reconnue. Récemment maman, elle s’est installée avec son mari « upstate« , à la campagne pour ainsi dire, elle qui a passé les vingt dernières années de sa vie dans l’effervescence new-yorkaise. L’adaptation est difficile. Non sans une pointe de snobisme, Elisabeth décortique tout ce qu’elle voit autour d’elle, dans une comparaison permanente avec sa vie à Brooklyn, au détriment toujours de son nouveau foyer. Pour pouvoir reprendre l’écriture, elle embauche Sam, une étudiante du coin. Sam est une perle, et une connexion s’établit instantanément entre les deux femmes.
Sam est toute jeune et regarde Elisabeth avec des étoiles dans les yeux : pour elle, c’est une femme accomplie et le summum de l’élégance. Le regard qu’elle porte sur elle permet de combler les blancs du récit, forcément partial, d’Elisabeth.
Chacune d’elle envie l’autre : Elisabeth regarde Sam et ne voit que sa jeunesse, sa liberté, le champs des possibles qui s’ouvrent à elle, tandis qu’elle-même se sent désormais prisonnière de sa vie de mère. Où sont passées ses années survoltées à New York ? Sam, elle, ne rêve que de s’installer et d’embrasser pleinement la vie adulte. Elle rêve de maternité, de savoir où elle va. D’être débarrassée de ses soucis d’étudiantes, de ses angoisses au sujet du prêt contracté pour ses études, de l’incertitude de son avenir professionnel. Je suis probablement pile au milieu de ces deux-là en terme d’âge, Sam ayant vingt et un ans, et Elisabeth sûrement quarante, et je comprends très bien leurs peurs et envies à l’une et à l’autre. Le portrait de ces deux femmes est d’une grande justesse.
Les Affinités sélectives est indéniablement le roman le plus abouti de J. Courtney Sullivan à date. C’est un récit brillant et passionnant, avec une dimension psychologique extrêmement fouillée. J’ai tout aimé !
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