ROMAN AMÉRICAIN — Avoir treize ans, ce n’est pas simple. À cet âge, on se cherche, on se construit, on entre parfois en conflit avec ses parents… Mais que faire, le jour où l’un d’eux nous est brutalement enlevé ? C’est la question que pose le nouveau roman de Joyce Maynard avec Les Règles d’usage.
Écrit en un mois en novembre 2001, paru aux États-Unis deux ans plus tard, et en France en 2016, Les Règles d’usage est probablement une des oeuvres de fiction traitant du 11 septembre écrites le plus tôt après les attentats, à chaud. Joyce Maynard était à New York le 11 septembre 2001 : elle était en train de terminer l’écriture d’un roman quand les attentats ont bouleversé sa vie, et celle de tout un pays. Après ce choc violent, impossible pour elle de se remettre dans son projet : il lui faut commencer un nouveau livre, un qui rendrait compte de cette ambiance si intense et si terrible qui pesait alors sur Manhattan. Une semaine après les événements, elle tombe sur l’histoire d’une jeune fille, publiée dans le New York Times, qui a perdu sa mère dans les tours jumelles : cela sera le point de départ de son nouveau roman, Les Règles d’usage.
Des règles d’usage qui n’ont plus cours face à la perte, au deuil. Comment continuer sa vie comme avant, comment grandir quand soudain, votre mère vous est enlevée dans une catastrophe relayée dans le monde entier ? Wendy, treize ans, a grandi à Brooklyn avec sa maman, Janet. Avec Josh, son beau-père et Louie, son demi-frère, ils forment une charmante famille recomposée. Le père, fantasque et joyeusement irresponsable, s’est installé à l’autre bout du pays, en Californie, et, si Wendy ne l’a pas vu depuis des années, elle l’idéalise en l’imaginant en surfeur super cool sur la côte ouest.
Un jour, Wendy va en classe. Elle part un peu vite, ne va pas embrasser sa mère avant de quitter l’appartement – après tout, elles ont eu quelques mots lors de leur dernière conversation, car Wendy voulait aller en Californie voir son père. Alors qu’elle est en cours, deux avions s’écrasent dans les tours jumelles du World Trade Center. Sa mère ne rentre pas ce soir-là à la maison. S’ensuivent des journées hagardes, à espérer un retour qui se fait de plus en plus hypothétique…
Touchante histoire de famille, Les Règles d’usage est un roman qui évoque aussi bien la difficulté de grandir en dépit des aléas de la vie que celle d’être parent dans un monde bien difficile. Dans ce roman, il n’y a pas d’enfant ou de parent parfait, Joyce Maynard dépeint une famille somme toute très réaliste qui, si elle ne correspond pas au modèle traditionnel, se montre finalement très émouvante. De passage à Paris ce mois-ci, Joyce Maynard nous a confié que la scène qu’elle a préféré écrire de toute son oeuvre venait des Règles d’usage : il s’agit d’une scène d’un Noël fait de bric et de broc, entre plusieurs pièces rapportées unies par leur lien avec la jeune Wendy. Cette scène est effectivement lumineuse car chargée d’espoir et de chaleur humaine.
Wendy essaie de se reconstruire tandis que son père biologique, Garrett, tente de reprendre son rôle à ses côtés. Maladroit au début, Garrett prend ses marques au fil du roman : le lecteur s’attache à cet homme qui est certes désinvolte et peu mature, mais au fond profondément bienveillant. Alors que Wendy essaie de repartir sur de nouvelles bases en Californie avec son père, le lecteur la suit dans son processus de deuil et dans ses expériences somme toute peu conventionnelles. Wendy va de l’avant. Elle se fait des amis, elle trouve du réconfort dans les livres et les nouvelles relations humaines qu’elle noue chemin faisant. Joyce Maynard ne voulait pas écrire l’histoire d’une personne dévastée, c’est donc un roman résolument optimiste qu’elle nous livre, la réponse à une seule question : comment cette jeune fille peut-elle survivre après la tragédie qui l’a frappée ? Et Joyce Maynard y répond avec brio : le lecteur est profondément ému par cette adolescente courageuse.
L’émotion, effectivement, est omniprésente : nous avons beau ne pas être américains et ne pas avoir été à New York le 11 septembre 2001, nous avons tous souvenir de cette journée-là, et de ce que nous avons fait en ce mardi. Les descriptions d’un New York choqué et meurtri, des rues de Manhattan envahies par des New-yorkais en quête de leurs proches, des murs de la ville punaisées d’avis de recherche sont extrêmement sincères et efficaces, elles nous touchent en plein coeur. Ce sont dans les scènes en apparence anodines de ce nouveau quotidien que Joyce Maynard excelle : difficile de retenir ses larmes quand elle nous décrit le petit Louie, quatre ans, en train de pleurer silencieusement quand sa grande soeur lui lit un conte que leur mère avait l’habitude de leur lire à l’heure du coucher. Cette absence, totale, brusque, et d’autant plus terrible au fond qu’elle reste chargée d’espoir plusieurs jours durant, est admirablement rendue.
C’est donc un roman intense et totalement maîtrisé, ce qui force d’autant plus l’admiration qu’il a été écrit en un mois seulement. Joyce Maynard nous a indiqué ne pas avoir eu de retours de la part de survivants du 11 septembre et qu’aux États-Unis, son roman était passé relativement inaperçu. Il a probablement été publié trop tôt pour rencontrer son public à l’époque. Espérons qu’en France il sera reconnu à sa juste valeur !
Les Règles d’usage, Joyce Maynard. Philippe Rey, 2016. Traduit de l’anglais par Isabelle D. Philippe.
Pour aller plus loin :
Cet été, nous étions à New York, quinze ans après le 11 septembre. Depuis 2011, un mémorial se tient sur le site du World Trade Center, et depuis peu, un musée. Nous avons été visiter le musée : comme on peut s’y attendre, l’ambiance y est très lourde, très pesante. Nous sommes ressortis de notre visite plutôt mal à l’aise, avec le sentiment qu’il était peut-être trop tôt pour faire de ces événements un musée à l’américaine (avec sa boutique de souvenirs…). Le mémorial, lui, est d’une grande sobriété, et très touchant.
Un des romans de cette rentrée littéraire que j’attendais le plus, je trouve que cette auteure écrit merveilleusement bien! 🙂
C’est vrai ! Son écriture est magnétique… impossible de détacher les yeux de la page !