ROMAN HISTORIQUE — La culpabilité, ça peut vous hanter pendant de longues années. Vous pensez avoir oublié et hop ! vous êtes subitement rattrapé par votre passé. Il suffit de pas grand chose : un article dans le journal, par exemple.
C’est ainsi que Geoffrey Staddon, un architecte britannique, apprend par hasard que la femme qu’il a aimée et abandonnée il y a maintenant douze ans est accusée de meurtre, et risque la peine capitale. Voilà Geoffrey brusquement ramené à ce mois de juillet 1911 où tout a basculé, et où il a trahi celle qu’il aimait…
À l’époque, Geoffrey était un jeune architecte ambitieux, qui rêvait d’inscrire son nom parmi ceux des grands bâtisseurs de son époque. La demeure de Clouds Frome, dans le Herefordshire, était son chef d’oeuvre, son passeport pour la cour des grands : une demeure de campagne grandiose et moderne, conçue pour Victor Caswell, un homme d’affaires qui a fait fortune au Brésil. Du Brésil, Caswell a ramené, outre ses millions, une épouse, la jeune et belle Consuela, qui dépérit loin de l’exubérance de Rio, et de sa famille restée au pays. Au fil des réunions de chantiers, où leurs regards se sont croisés au dessus des plans de Clouds Frome, Consuela et Geoffrey sont peu à peu tombés amoureux… mais alors qu’ils projetaient de s’enfuir ensemble et de se construire une vie bien à eux à l’autre bout du monde, Geoffrey reçoit une proposition de travail qu’il ne peut refuser. Abandonnant Consuela à son triste mariage, Geoffrey s’est lancé à corps perdu dans son nouveau projet sans regarder en arrière…
Nous sommes désormais en 1923, et Geoffrey est désormais à l’aube de la quarantaine. Mal marié, portant toujours le deuil de son petit garçon mort de la grippe espagnole, notre architecte a de surcroît vu ses rêves de succès s’envoler, lorsque le projet pour lequel il a quitté Consuela est parti en fumée. C’est donc une vie plutôt médiocre qu’il mène à l’orée des années 20, et c’est avec horreur qu’il apprend que Consuela est accusée d’avoir empoisonné sa nièce, et voulu tuer son mari. Il l’en croit bien sûr incapable. L’affaire va tant le turlupiner qu’il va décider de mener l’enquête pour essayer de prouver son innocence.
Entre chronique judiciaire d’un autre temps, enquête effrénée et histoire d’amour tragique, Sans même un adieu est un roman très maîtrisé, qui nous transporte dans l’Angleterre du début du XXe siècle, des rues sordides de Londres au tribunal d’Old Bailey, en passant par la campagne britannique et la riviera française. Fort d’un ancrage historique réussi – on s’y croirait -, le roman de Robert Goddard nous dévoile les arcanes de la justice britannique d’antan, à l’époque où une condamnation pour meurtre vous valait bien souvent la pendaison. La retranscription du procès, par exemple, s’avère tout bonnement passionnante : c’est très intéressant de découvrir comment fonctionnait la justice britannique à l’époque, et le compte-rendu, certes minutieux, ne lasse jamais le lecteur ! Les hommes de loi britanniques s’enorgueillissent de pendre leurs condamnés, quand ces sauvages de Français outre-Manche les guillotinent… L’enquête, effectivement, entraînera Geoffrey en France, dans la région de Nice où il fera quelques belles révélations sur une affaire qui n’a évidemment rien d’évident. Pourtant, à Londres, l’affaire semble entendue. Consuela, belle, étrangère, et catholique, est singulièrement détestée de l’opinion publique. Les preuves sont, dit-on, imparables. On pense même connaître son mobile, la jalousie. Son chemin vers la peine capitale est malheureusement tout tracé : Geoffrey, cependant, pense pouvoir découvrir qui est le véritable coupable. Il se lance alors dans une enquête pour le moins maladroite : il n’est pas policier, et ses interrogations sont souvent malvenues. Dans un premier temps, il parvient surtout à s’attirer l’hostilité des Caswell. Et ceux-ci ont le bras encore plus long qu’il ne le pense…
Notre narrateur n’a rien d’un héros : il est faillible, tantôt lâche, tantôt borné, parfois franchement irréfléchi. Le lecteur sera tenté de le condamner âprement, lorsqu’il découvre à quel point il a trahi Consuela. On serait même tenté de penser qu’il mérite ses déboires ultérieurs (ce mariage raté avec Angela, cette carrière au point mort…). À l’inverse, c’est un personnage presque sanctifié que nous livre Robert Goddard en la personne de Consuela : belle, digne, vive d’esprit, l’accusée semble parfaite. Pourquoi une telle femme se serait-elle laissée aller à empoisonner sa nièce, en pensant tuer son mari ? D’ailleurs, on ne pense pas une seconde que Geoffrey puisse se fourvoyer en la proclamant innocente. Elle l’est forcément. C’est une évidence.
Secrets de famille, suspense, et rebondissements de dernières minutes contribuent à faire de ce roman historique un livre que l’on dévore en quelques séances de lecture avide. C’est efficace en tout point, et Robert Goddard nous entraîne souvent là où on ne l’attendait pas, pour notre plus grand plaisir.
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