ROMAN AMÉRICAIN — « C’est au printemps 1926 que je démissionnai. » C’est ainsi que commence le roman de Thornton Wilder, Mr. North. Theophilus North, son héros, est un jeune homme désargenté, qui s’ennuie dans sa vie dans le New Jersey, où il enseigne à de jeunes garçons depuis son retour de la guerre. Il décide de briser sa routine en quittant son emploi et en s’installant dans une station balnéaire du Rhode Island, où il exercera quelques menus services contre rétribution. Au fil de l’été, il enseignera ainsi le tennis et le français, fera la lecture, et au-delà, se fera le confident, le psychologue, le détective et parfois même l’amant de toute une foule de personnages. En très peu de temps, Theophilus aura totalement infiltré la petite ville de Newport : il sera devenu absolument indispensable.
Nous sommes en 1926 : l’Amérique est encore meurtrie par la guerre, mais encore relativement insouciante, la crise de 1929 étant encore à venir. À Newport, les riches estivants prennent leurs quartiers, venant de New York et des autres grandes métropoles de la côte est et retrouvent leurs belles maisons du bord de mer. Theophilus a ses entrées partout. Il arpente la ville à vélo : la ville est sienne, et son nom est sur toutes les lèvres. Thornton Wilder recrée à notre bénéfice l’ambiance glamour et un peu clinquante des twenties ; on sent que nos personnages sont pourtant coincés entre deux époques, entre le conservatisme vieux jeu pré-guerre mondiale et l’évolution des mentalités en marche. On compare beaucoup ce roman à Gatsby le magnifique, mais il n’y a pas la même débauche effrénée, la même nostalgie poignante, que dans le récit de Fitzgerald. C’est un récit bien plus léger.
De la nostalgie, admettons-le, il y en a peut-être un peu à la fin du récit, mais le héros, Theophilus est bien moins tragique que ceux de Fitzgerald. Malin, séducteur, mentant avec aplomb, ce Mr. North est sacrément débrouillard : le lecteur lui trouvera probablement un charisme fou, car il arrive à se couler dans n’importe quel rôle avec une aisance remarquable. Mr. North, au fond, sait tout faire, et surtout, il arrive à conserver sa liberté. On a beau essayer de se l’attacher, Theophilus parvient toujours à s’esquiver. Au fond, l’été à Newport n’est qu’une parenthèse dans sa vie. On sent que de nouvelles aventures attendent Theophilus, qui saura, comme à Newport, s’attirer l’amitié de toute une communauté, peu importe où il décide de s’installer.
Thornton Wilder a peut-être décidé de conter cet été à Newport comme si son héros se remémorait cet été bien particulier quelques cinquante ans plus tard, le récit reste très vif et dynamique. Chaque mission de Theophilus nous est contée comme un épisode bien particulier : on dirait presque de courtes nouvelles, ce qui ajoute au rythme du roman. Les aventures de Theophilus forment le portrait réussi et plutôt complet de toute une petite ville balnéaire des années 20, des petites gens aux familles les plus huppées. On croisera aussi bien dans ces pages des femmes de chambres, des infirmières ou des garagistes que des ambassadeurs, des bourgeois ou des jeunes filles de bonne famille…
Voilà donc un roman idéal pour qui aime les années 20, entre comédie de moeurs et portrait d’une époque maintenant disparue…
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