Une amie très chère : Joan et Cece, amies pour la vie ?

Une amie très chère, Anton Disclafani, Denoël

ROMAN AMÉRICAIN — À Houston, dans les années 50, il y a une reine des abeilles, que tous admirent et envient : cette reine, c’est Joan Fortier. Son père est riche à millions et elle est belle et magnétique : elle fait la joie des chroniqueurs mondains et la fierté de tout Houston. Certains la trouvent peut-être difficile à cerner, mais ce n’est pas le cas de Cece, son amie d’enfance. Cece voue une affection presque forcenée à Joan : elle l’aime plus qu’une meilleure amie, plus qu’une soeur. Elle vit dans son ombre depuis toujours, leur amitié profonde alimentée par un secret commun qu’elles gardent depuis l’adolescence.

Nous sommes en 1957. À vingt-cinq ans, Cece est désormais mariée et mère de famille, tandis que Joan continue de papillonner, frôlant parfois le scandale : ne n’oublions pas, nous ne sommes encore que dans les années 50. Mais Joan semble malheureuse, et elle prend ses distances. Quant à Cece, elle est inquiète pour son fils, et son mari, Ray, voit d’un mauvais oeil cette relation envahissante… Leur belle amitié survivra-t-elle à l’âge adulte ?

Anton DiSclafani dresse avec Une amie très chère le portrait réussi d’une amitié toxique. Depuis son enfance, Cece ne vit que pour Joan, que pour occuper, à ses côtés, la seconde place. Cece est celle que l’on ne remarque pas de prime abord, la bonne copine, the girl next door… Comme l’a souligné une de leurs amies communes, Cece tient presque plus de la demoiselle de compagnie que de l’amie, que de l’égale. Au fil des années, cette amitié déséquilibrée finit par peser de plus en plus sur Cece : Ray, son époux, supporte de moins en moins cette relation vénéneuse, au point de se demander, au fond, si Cece ne serait pas un peu amoureuse de Joan… On le comprend. Cette relation, le lecteur le comprend très vite, est presque à sens unique, ou en tout cas très déséquilibrée : c’est toujours Cece qui se languit près du téléphone, toujours Joan qui décide quand elles doivent se voir… Le lecteur, très vite, ne souhaite qu’une chose pour notre pauvre narratrice : que Joan débarrasse le plancher vite fait bien fait pour la laisser s’épanouir, tant cette amitié plombe l’héroïne. Et pourtant, peut-on imaginer personnage plus charismatique, plus intrigant que Joan Fortier ? On aurait presque envie qu’Anton DiSclafani lui consacre un roman dont elle serait véritablement l’héroïne.

Cette amitié toxique est le prétexte à un portrait sans concession de la bonne société de Houston en 1950 : on nous décrit ainsi plusieurs soirées entre gens bien nés, où l’alcool et la drogue font tourner les têtes. C’est un roman très visuel, avec des scènes de fêtes extrêmement bien décrites et très vivantes, que l’on s’imagine très bien. Nos héroïnes fument comme des pompiers, et sont ivres pendant à peu près la moitié du roman. Elles sont drôlement insouciantes et déconnectées de la réalité du commun des mortels : de temps en temps, Cece a une fulgurance et se rend compte que ce qu’elle vit, ce n’est pas le quotidien de la plupart des gens, quand elle pense par exemple aux finances de sa bonne. L’argent, comme le pétrole, coule à flot, mais il ne fait pas le bonheur. Derrière le vernis de cette vie apparemment idéale, se cachent en réalité de profondes failles, et une certaine vacuité. Que reste-il, une fois que la fête est terminée ? C’est ce que nous montre ce très bon roman, plus complexe qu’il n’y paraît, dont le titre en version originale est très parlant : The After Party. La véritable vie de Joan, on pourrait se la figurer ainsi : comme un jardin déserté par les invités une fois l’aube arrivée, des confettis et des ballons flottant sur la piscine, des coupes de champagne abandonnées un peu partout…

Une amie très chère, Anton DiSclafani. Denoël, avril 2017. Traduit de l’anglais par Pierre Ménard.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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