ROMAN HISTORIQUE — Unanimement salué par la critique anglo-saxonne, en lice pour de nombreux prix prestigieux et recommandé par Barack Obama lui-même, Washington Black a tout pour plaire, d’autant qu’il devrait très bientôt sortir en poche (sortie initialement prévue le 9 avril, très certainement repoussée en vu de la crise sanitaire). Nous avions le grand format à la maison, et en avons profité pour découvrir enfin le récit d’Esi Edugyan.
Celle-ci nous transporte à La Barbade en 1830, sur une plantation de canne à sucre. Washington Black a onze ans quand le maître des lieux meurt brutalement. Tous les esclaves s’interrogent : que va-t-il advenir d’eux ? Malheureusement pour eux tous, c’est le neveu de feu le vieux maître qui arrive tout droit d’Angleterre, et il a la cruauté chevillée au corps : traitements corporels sanglants, mises à mort spectaculaires, humiliations diverses… Washington, qui vit sous la protection de Big Kit, une esclave née en Afrique, en vient à considérer le suicide comme une option séduisante : Big Kit et lui, comme de nombreux esclaves, pensent que la mort leur permettrait de se réveiller sur les terres de leurs ancêtres, le Dahomey. Mais le maître, vicieux, leur fait savoir que le suicide n’est pas une option : il profanera les corps de tous les suicidés, les empêchant ainsi de se réincarner… Washington se résout donc à une vie de terreur à la plantation Faith… jusqu’à l’arrivée de Titch, qui fait basculer son quotidien.
Titch n’est autre que le frère du maître, c’est un inventeur touche à tout qui rêve de mettre au point un ballon dirigeable. Washington devient son apprenti. À ses côtés, il apprend à lire et à écrire, s’intéresse à la science : c’est le point de départ d’un véritable roman d’apprentissage sur trois continents, à une époque de grandes découvertes…
Portrait sans concession aucune de l’esclavage sur les plantations, Washington Black aborde les multiples facettes de la liberté : liberté physique, bien sûr, car Washington est né dans les chaînes, mais aussi liberté psychique (comment se détacher d’une influence fondatrice pour se construire en temps qu’homme ?). Ce roman voit notre jeune héros grandir de bien des manières : d’enfant, il devient jeune homme, bien sûr, mais son cheminement est loin de s’arrêter là. D’esclave des champs, il se mue progressivement en homme de sciences, fasciné par la vie marine, doué d’un coup de crayon miraculeux. Quand on tourne la dernière page, on ne peut que s’émerveiller sur le chemin parcouru par cet adolescent au fil des pages… Le roman traite aussi de l’ambivalence de certains hommes libres qui, s’ils condamnent l’esclavage voire le dénoncent, continue à considérer avec une sorte de paternalisme méprisant les hommes noirs…
C’est également un roman sur l’apprentissage scientifique, sur la reconnaissance dans un milieu alors exclusivement réservé aux hommes blancs, dans lequel Washington devra se battre : cet aspect aurait pu être bien plus développé, mais ce qu’on en devine suffit à susciter l’intérêt. Les lecteurs de Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier devrait apprécier.
La Barbade, le Pôle Nord, Londres, Amsterdam, le Maroc : voilà un roman qui vous fera voyager à une époque à la fois proche et lointaine, sur des bateaux, dirigeables et même en traîneau ! Pas le temps de s’ennuyer, donc, dans un roman qui évoquera à la fois les grands romans sur l’esclavage et l’ère des grandes découvertes scientifiques.
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