Ramené dans mes valises de San Francisco, Wither (en français, Éphémère) est le premier tome de la série Le Dernier jardin, dans laquelle le temps est devenu le pire ennemi de l’homme : à cause des manipulations génétiques, chaque nouveau-né devient une bombe à retardement, programmé pour exploser en pleine jeunesse.
Soixante-dix ans avant le début de l’histoire de Rhine, notre héroïne, les humains ont voulu jouer les apprentis sorciers (comme d’habitude). Mais cette fois, la nature a pris sa revanche : passée une première génération d’humains à la santé de fer, notre espèce se voit condamnée à une longévité des plus brèves : les jeunes femmes succombent à vingt ans, les hommes à vingt-cinq. Pour espérer sauver l’humanité, des hommes enlèvent des adolescentes pour les vendre à des jeunes hommes riches : celles-ci se retrouvent alors épouses, confinées dans des chambres où, à plusieurs, elles attendent que leur mari daigne les engrosser. Perspective charmante. Rhine, notre héroïne aux yeux vairons, vivait avec son frère jumeau jusqu’à ce qu’elle soit enlevée et contrainte d’épouser le riche Linden, en même temps que Cecily, tout juste pubère, et Jenna, déjà une vieille demoiselle, à dix-huit ans…
Que l’on imagine une humanité moribonde, décimée dans la fleur de l’âge, pourquoi pas. Mais il m’aurait semblé plus cohérent, plus dramatique, de laisser aux hommes une espérance de vie normale. L’auteur aurait pu rendre la situation d’atroce, véritablement odieuse en imaginant des jeunes filles, ayant toujours vingt ans d’espérance de vie, mariées de force à des quadragénaires, dans une société patriarcale et abusive. Cela n’a pas été son choix : Lauren DeStefano préfère jouer sur la corde sensible, en nous laissant imaginer un jeune et beau couple périr dans les bras l’un de l’autre. Mais dans le monde qu’elle imagine, l’amour est un luxe que la plupart des gens ne peuvent se permettre. Évidemment, quand on meurt à vingt ans, on n’a pas beaucoup de temps pour le trouver. Mais dans ce monde apocalyptique, il y a plus grave : les jeunes générations sont progressivement privées de soutien, d’éducation, et des famines déciment les Etats-Unis (le reste du monde n’existe plus, ravagé par une guerre mondiale.) C’est la fin de l’humanité, vous l’aurez compris : il ne reste plus d’adulte que les quelques rescapés de la première génération, qui va vaillamment sur ses soixante-dix ans. En vingt ans, ou vingt-cinq, on n’a pas le temps de transmettre le savoir : les enfants se retrouvent orphelins encore bambins. C’est dans ce monde que grandit Rhine, qui a eu la chance d’avoir des parents de la première génération, et d’être donc éduquée. Mais, devenue orpheline, elle devient facilement la proie d’un de ces kidnappeurs qui enlèvent les filles, vendent les plus jolies à des époux, prostituent ou massacrent les autres. On vous l’a dit, les perspectives d’avenir dans ce monde sont délicieuses.
Rhine devient l’époux d’un jeune homme d’à peine vingt-ans, en même temps que Cecily et Jenna. Cecily a treize ans, mais dévore des livres sur le kama-sutra et la grossesse. Élevée par un orphelinat, le sort d’épouse dans un harem (n’ayons pas peur des mots) lui paraît des plus enviables. Jenna, elle, est beaucoup plus cynique. Comme Rhine, elle n’a pas la moindre intention de complaire à sa majesté Linden. Mais dans l’ombre du naïf Linden (qui trouve normal de profiter des faveurs d’une gamine de treize ans), se tapit son père, beaucoup plus dangereux, et prêt à tout pour trouver un moyen de sauver son fils. Même à des expériences des plus douteuses. Qu’attendre de plus, en même temps, qu’un homme qui cautionne le rapt ?
Mais dans son malheur, Rhine trouve l’appui et l’amitié de Gabriel, un des serviteurs. Mais, bien-sûr, le syndrome de Stockholm n’est jamais loin, et Rhine manque bien succomber aux charmes de Linden.
Roman dystopique, Éphémère est un de ces romans qui ont un énorme potentiel, et le gâchent par de nombreuses longueurs et un style un peu sec (c’est tout du moins l’impression que rend la version originale). On se laisse cependant entraîner dans l’intrigue, et on meurt d’envie de savoir ce qu’il va arriver à Rhine (bien que cela se révèle sans véritable surprise). On est profondément ému par le destin des personnages, bien qu’ils soient sans véritable profondeur. Difficile de ne pas compatir avec le destin d’individus condamnés à mourir à un âge aussi jeune, sans pouvoir rien accomplir. Difficile de ne pas être touché par ces personnages, si conscients du peu de temps qu’il leur reste. Moi-même ayant atteint l’âge canonique de presque vingt-deux ans, je ne peux m’empêcher de songer que dans ce jardin, je serais déjà de l’histoire ancienne. Oui, pardon, je parle beaucoup à la première personne dans cette chronique. Je ne sais pas ce qu’il me prend. Mais bon, ça aurait pu être pire : j’ai lu ce livre en anglais, j’aurais pu vous infliger la chronique en anglais.
Finalement, je sors de cette histoire perplexe : elle m’a émue, mais m’a aussi agacée. Le deuxième tome sera probablement décisif.
Ephémère, Lauren DeStefano. Castelmore, 2011.
J’adore ta chronique, j’ai bien ri!
Bon, n’empêche, elle me refroidit quelque peu… le résumé m’avait déjà semblé bizarre (mais digne d’intérêt), alors peut-être serai-je clémente et lui accorderai-je tout de même une chance. En tout cas, même si tu sembles mitigée, j’ai envie de découvrir le titre (ou l’art et la manière de bien chroniquer ses lectures!)!