ROMAN HISTORIQUE — Diplômée d’histoire, récompensée du prestigieux Booker Prize, Pat Barker livre dans Le silence des vaincues une réinterprétation de L’Iliade, narrée du point de vue de celles dont on ne parle jamais : les esclaves raflées par les Grecs durant la guerre de Troie !
Troie a résisté à une décennie de siège de la part de la puissante armée fédérée grecque, qui mène une guerre sanguinaire pour récupérer Hélène, enlevée par le prince troyen Pâris à Ménélas, roi de Sparte. Avant de mettre Troie à genoux, les Grecs ont vaincu tous les royaumes alentours. Parmi ceux-ci, Lyrnessos, qui fut mis à sac et dont la reine Briséis fut capturée après avoir assisté au massacre de sa famille. Esclave, elle fut donnée à Achille qui en fit sa concubine. Et c’est par elle que la guerre basculera finalement car, Achille ayant dû la remettre à Agamemnon, il refusa de combattre, ce qui entraîna les conséquences dramatiques que l’on sait (l’avancée des Troyens, la mort de Patrocle, le duel entre Achille et Hector et, in fine, la chute de Troie).
De fait, le récit laisse peu de place au suspense : on sait comment s’est déroulé le siège de Troie, et Pat Barker ne verse pas dans l’uchronie comme a pu le faire David Gemmell. L’originalité du récit vient du point de vue narratif choisi, celui de Briséis, et plus généralement des femmes prisonnières de l’armée grecque et forcées d’assister à la chute de leur empire.
Il se déroule sur cette plage tout ce que l’on peut attendre du quotidien d’une femme enlevée à sa cité par une armée conquérante : corvées diverses et variées, longues phases d’attente, sévices multiples infligés par les soldats. A ce titre, l’autrice ne nous épargne aucun détail, et aborde à de nombreuses reprises les préférences de viol des différents guerriers – âme sensible s’abstenir, donc.
À l’instar du récit d’origine, Le silence des vaincues est un récit un peu froid, qui induit une sorte de distance entre lecteurs et personnages. D’une part, cela sied aux quelques 3 millénaires qui nous séparent de l’histoire qui est racontée. D’autre part, cette façon de narrer rappelle tout à fait le récit homérique et ce léger retour dans le passé s’avère bien agréable. Les dialogues, au ton parfois un peu familier, viennent de temps en temps alléger l’atmosphère !
Malgré l’absence globale de surprise dans le déroulement du récit, la découverte du siège de Troie vu par les coulisses s’avère particulièrement prenante, et ce quels que soient les épisodes atroces qui sont narrés, en raison du point de vue original choisi par l’autrice. Celui-ci questionne intelligemment les récits historiques et la responsabilité de ceux qui les diffusent. On le sait, le point de vue des vaincus (et ce d’autant plus si ce sont des femmes) est rarement entendu, bien vite éclipsé par les témoignages des vainqueurs. Ce qui interroge évidemment la justesse des récits que l’on transmet ainsi !
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