A quarante ans passés, Manolo est un riche designer qui semble avoir réussi sa vie. Il possède un bel appartement gigantesque et une boîte florissante. Mais Manolo est également très seul : il a été marié deux fois, et divorcé tout autant. Mais son monde de soie, de marbre et d’argent bascule le jour où son ami médecin lui apprend la mauvaise nouvelle : de sa jeunesse mouvementée, Manolo a hérité de LA maladie, celle dont on n’ose pas vraiment dire le nom.
Dès lors, Manolo se posera une question : laquelle des femmes de sa vie a pu le contaminer ? A travers cet inventaire, Manolo revient sur sa vie : son enfance dans un hôtel, son adolescence sur le bord de mer, ses premiers émois amoureux. Le hasard l’amènera à recueillir un jeune clandestin à qui il se confie. Mais qui est donc Manolo ?
La question est légitime car Manolo est un personnage complexe, ambigu, qui suscite parfois l’agacement pour mieux lui tirer des larmes un peu plus tard. Ex-enfant choyé, adolescent sûr de lui et hautain, séducteur invétéré devenu adulte, Manolo est capable du meilleur comme du pire. Surtout du pire. Il n’aime rien, ni personne, sauf peut-être la femme de son meilleur ami. Les livres l’ennuient, les voyages le révulsent, les langues étrangères l’agressent. Au présent se mêlent ses souvenirs : peu à peu, Manolo se révèle, et le lecteur se surprend à l’apprécier.
Le Dernier Paradis de Manolo est extrêmement bien écrit : c’est probablement grâce à ce style fluide, agréable, accueillant, même, que le lecteur ne se lasse pas de Manolo, qui agit parfois comme un enfant capricieux. Les anecdotes se suivent, mais ne se ressemblent pas. L’hôtel où a grandi le héros est un des lieux forts de ce roman : par quelques descriptions bien senties, par quelques histoires, Alan Warner parvient à rendre vivant ce grand bâtiment. Cet hôtel est extrêmement important pour Manolo : cela fut son foyer, et la façade de l’hôtel lui évoque fréquemment ses parents, aujourd’hui disparus. On a presque l’impression d’y être nous aussi. Une des scènes les plus importantes du roman est également particulièrement bien tournée : Manolo, alors adolescent, emmène deux jeunes Asiatiques voir Les Dents de la mer, et parvient à les séduire toutes les deux. Le film est décrit avec minutie, jusqu’à ce que Manolo perde le fil. On sent la tension qui grimpe dans la salle, la terreur croissante des spectateurs.
Le Dernier Paradis de Manolo est, outre le récit personnel de Manolo, une évocation de l’histoire de l’Espagne : par des touches subtiles, Manolo se souvient de la dictature franquiste et des changements parfois brutaux qu’a connu le pays en quelques décennies. Le pays n’est jamais nommé, et pourtant, le lecteur, comme une évidence, sait que l’on parle de notre voisin espagnol. Le roman traite également du sida, cette maladie dont Manolo apprend souffrir, et qui va l’amener à réfléchir sur la vie, la mort, l’amour, les choses dont on se prive. C’est un beau roman.
Le Dernier Paradis de Manolo, Alan Warner. Points, 2013.
Très belle critique donnant envie de lire ce roman ! Merci.