ROMAN AMÉRICAIN — Dans la foulée de ma lecture de Black Girl, j’ai enchaîné avec Affamée, dont l’héroïne a un gros point commun avec Nella, celle de Black Girl : elle aussi est une jeune Afro-Américaine qui bosse dans l’édition.
Edie a une petite vingtaine d’années et sa vie suinte l’ennui. Son boulot, bien que dans l’édition, ne semble pas la passionner, son appartement est miteux et sa vie sentimentale, ou plutôt sexuelle, ne semble pas pleinement satisfaisante. Seule la peinture semble la tirer de sa morosité et pourtant : ses toiles sont remisées dans le placard. On lui a fait comprendre que ce n’était pas mauvais, mais pas super bon non plus. Edie est dans la moyenne, ce qu’elle ne supporte pas.
Mais un jour, elle rencontre Eric sur une application de rencontre. Il est bien plus vieux qu’elle, marié et blanc. Il semble la fasciner. Elle ne rêve que d’une chose, le mettre dans son lit. Peu de temps après le début de leur liaison, elle fait la connaissance de l’épouse, qui sait tout de leur histoire adultère, couple libre oblige. Et contre toute attente, quand la vie d’Edie vole en éclats, c’est Rebecca, l’épouse de son amant, qui lui tend la main et l’invite à vivre chez eux aux côtés de leur fille adoptive, noire elle aussi…
L’ambiance est pour le moins bizarre, voire glauque. Ce ménage à trois laisse une impression de malaise persistante au lecteur, de même que la personnalité très particulière d’Edie, qui semble éprouver une fascination morbide pour l’auto-destruction. La narration est à la première personne du singulier et nous plonge dans les pensées de cette jeune femme qui, sans passion, cherche sa place dans un monde résolument très blanc. Le ton est très terne, assez froid, presque clinique, un peu cru, ce qui déstabilise le lecteur car le récit évoque des thèmes qui, au contraire, évoquent la passion et la chaleur, le sexe en tête. Edie, un peu paumée, multiplie les expériences de ce côte-là, mais avec un certain détachement. Sa faim, c’est un vide intérieur à combler. D’où le malaise certain ressenti par le lecteur.
C’est un roman coup de poing qui présente une certaine descente aux enfers puisque Edie perd successivement son emploi et son appartement, tout en parvenant enfin à trouver sa voix artistique, car, au fil des pages, sa peinture s’affirme. L’humiliation et les revers semblent le pendant de son réveil artistique. Drôle d’évolution en parallèle… Le roman s’attache également à montrer le racisme latent qui se cache dans la moindre situation du quotidien et met des mots puissants sur ce que peut ressentir la nouvelle génération afro-américaine. Enfin, l’aspect thérapeutique de l’art est bien sûr un des thèmes majeurs du roman : Edie l’utilise pour exorciser le deuil, pour tâcher de mieux comprendre son environnement. C’est brillamment montré.
En bref : lisez-le !
Affamée, Raven Leilani. 10/18, 2022. Traduit de l’anglais par Nathalie Bru.
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