Un été à Rockaway, comme tant d’autres…

Un été à Rockaway

NEW YORK — Ah, l’adolescence, le passage à l’âge adulte : autant de thèmes porteurs en littérature, qui se plaît à décortiquer les affres de cette période si particulière ! Ici, la bande de Rockaway, après avoir été si soudée au lycée, va se déliter après le départ de l’une de ses membres pour la fac. Elle va de l’avant, ses trois potes restent en arrière, à ruminer et à découvrir les frustrations de l’âge adulte : que faire de sa vie ? À quel métier peu gratifiant consacrer ses plus belles années ? Les saisons passent à Rockaway et se ressemblent : l’été, Timmy, Peg et la Rouille scrutent l’océan du haut de leur chaise de maître-nageur, l’hiver, ils font de la manutention. Rien de bien folichon. Alors, le week-end, on fait la fête. On boit, on fume, on baise, on se bat. L’ennui sourd des pages. On sent que ces personnages aspirent à quelque chose d’autre : mais quoi ?

Oui, quoi ? Ce n’est pas parce qu’Alex est partie qu’elle le sait. Si les autres restent comme encroûtés dans une routine immuable dont seul le lycée a disparu, Alex, elle, voit bel et bien le passage du temps. Ses parents, après tout, se sont empressés de louer sa chambre après son départ pour la fac. Plus de retraite possible : il faut se lancer dans le vaste monde et accepter de ne plus en être l’attraction principale. À Rockaway, elle est la reine du cœur de Timmy. À la fac, elle n’est qu’une des cinq conquêtes de l’énigmatique Joe, insaisissable et inconsistant : plus tard, il ne sera plus qu’un vague souvenir de jeunesse. Mais que restera-t-il de Timmy, qui se languit d’amour au bercail ? Timmy, qui se cherche, qui aimerait désespérément impressionner Alex, et son père, tous deux absents, lointains, inaccessibles…

Le récit est-il pessimiste ? Sûrement. Un été à Rockaway, c’est le désenchantement incarné : partir ou rester, il n’y a pas de bonne solution. Les adolescents étasuniens des années 80 étaient cyniques : on leur promettait le rêve américain, gloire et fortune, mais arrivés au bout du lycée, diplôme en poche (ou pas, car le lycée, ça craint !), ils se rendent compte que seules de longues décennies d’un travail ingrat les attendent… et qu’ils ne feront que reproduire, peut-être même, le schéma parental. Dans dix, vingt, trente ans, ils seront toujours là, sur la plage de Rockaway. Ils se seront mariés entre eux, auront eu à leur tour des enfants, ne seront ni heureux et malheureux. Envolés les beaux éclats de rire dans la limousine qui revenait du bal de promo, la robe déchirée de Peg et les Polaroïds. Le temps et la frustration feront leur œuvre. Un récit puissant, bien de son époque (la fin des années 80) et pourtant résolument universel.

Un été à Rockaway, Jill Eisenstadt. Rivages, avril 2019. Traduit de l’anglais par Hélène Cohen. 

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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