Une chance insolente : un régal !

Une chance insolente

ROMAN — Peut-on se plaindre d’être trop chanceux ? Dans une langue dont on se délecte, Fabio Bacà imagine un héros pris au piège d’une spirale de veine incroyable. Kurt O’Reilly a tout pour être heureux. Ou presque…

Le jeu des probabilités, Kurt O’Reilly le connaît sur le bout des doigts : statisticien prodige à Londres, il sait très bien que tout ce qui lui arrive depuis deux mois et demi ne devrait pas advenir. Quelle est la probabilité pour que, en très peu de temps, le fisc décide de vous rembourser une somme conséquente, pour que les embouteillages cessent subitement sur votre chemin, pour que tous les chauffeurs de taxi qui croisent votre route vous offrent la course, pour que vos actions remontent brutalement ? C’est bien simple, tout semble conspirer pour faire de sa vie une succession d’événements bénéfiques. Plutôt que de s’en réjouir bêtement, Kurt essaie de comprendre. Son chemin croise alors tout un tas d’individus…

Dans ce récit délicieusement absurde, qui enchaîne les situations joyeusement improbables, le lecteur réfléchit au karma, à la notion de rétribution cosmique, de chance, de destin. Du trivial des expériences que fait Kurt, l’auteur tire une réflexion aux confins de la philosophie (un prof de philo intervient notamment dans la quête du héros) qui vous laissera songeur. Kurt essaie désespérément de comprendre pourquoi la chance le poursuit, et si son cheminement est savoureux, ce n’est rien face à la résolution finement trouvée par l’auteur.

On aime tout particulièrement le style élégant et piquant de Fabio Bacà, qui donne envie de surligner des passages entiers (ne vous inquiétez pas, c’est métaphorique, je ne porte pas atteinte à l’intégrité des livres) tant ils sonnent juste, tant la musique des mots y est mélodieuse. C’est une écriture vraiment fine, bourrée d’humour, avec un décalage parfois caustique qui rappelle l’humour anglais dans ce qu’il a de meilleur. La voix de Kurt est singulière, et flirte parfois avec l’absurde, mais on s’y attaque follement vite. Il y a chez lui un je ne sais quoi de résolument attachant : peut-être son côté audacieux et impulsif, sa désinvolture ou sa manie de tout tourner en dérision ? En tout cas, le mélange prend. Et on se retrouve happé par le récit !

Qu’est-ce qu’être chanceux au fond ? Est-ce vraiment bénéficier d’avantages fiscaux, voir l’argent affluer par lingots entiers, et se vautrer dans le confort matériel ? Pas vraiment. La morale de ce roman semble être plutôt du côté de l’importance du lien social, de la sphère familiale et amoureuse. Kurt balaie assez rapidement l’aisance financière qui semble absolument vouloir lui coller à la peau : ce qui compte, finalement, c’est de prendre soin des gens qu’on aime tant qu’ils sont encore là. Et ça, c’est un message à la fois très actuel et humaniste.

Une chance insolente, Fabio Bacà. Gallimard, mars 2022. Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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