Adèle est une femme de trente-cinq ans qui vit dans « le beau dix-huitième » à Paris. On l’imagine d’une beauté froide et distante, endormie. Elle est journaliste dans une rédaction quelconque et ne prend aucun plaisir à faire ce travail sous-payé. D’ailleurs, elle pourrait se passer d’emploi puisque son mari Richard est chirurgien. Il ne compte pas ses heures mais permet à sa femme et à leur fils, qu’ils ont eu parce qu’il faut bien en avoir, d’avoir une vie enviable de bons petits bourgeois parisiens, entre les sorties culturelles et les dîners entre gens biens.
Derrière cette couche de vernis ayant séché trop vite et déjà écaillé, Adèle couche avec des hommes, des dizaines d’hommes. Elle n’y prend aucun plaisir. Ni dans l’idée de transgression, ni dans la recherche d’une improbable jouissance ; à peine dans le très court instant de la séduction, le temps de vérifier avec quelle facilité elle peut obtenir ce qu’elle veut des hommes. Elle recherche la violence de l’acte physique et le moyen de se nier elle-même.
Rien dans son parcours ne permet de dévoiler le pourquoi de cette addiction sexuelle extrême qu’Adèle parvient sans mal à cacher à son mari, persuadé qu’il est de sa docilité d’épouse dévouée, si ce n’est aimante. Il serait idiot de parler de révolte à son sujet. Adèle se contente de suivre mollement son mari qui a pris de façon unilatérale la décision de quitter l’affreuse Paris, où l’on étouffe et se sent toujours si pressés et à l’étroit. Elle se fiche de l’hostilité de la capitale et de ses obligations, tant qu’elle peut continuer à coucher avec des inconnus que, pour la plupart, elle ne voudra jamais revoir, même si certains l’implorent de glisser à nouveau ses formes entre leurs bras.
On peut avoir envie de lire ce livre, aguiché par la quatrième de couverture qui nous promet une Adèle offerte dans des orgies furieuses. En réalité, le style n’est pas franchement érotique mais plutôt teinté d’une certaine dureté anatomique, une aridité dérangeante. Dans le jardin de l’ogre semble à première vue pareil à ces mille romans germanopratins peuplés de bobos flippés et névrosés. Mais la force de Leïla Slimani, dont il faut dire que c’est la première publication, est justement de faire, à partir de ce sujet insignifiant et rebattu, un roman troublant, où la fascination n’est jamais loin de la révulsion. On le lit cependant d’un bout à l’autre, avec une part du plaisir coupable que ressent peut-être Adèle. Ce qui est certain c’est que l’on suivra avec beaucoup d’attention les prochaines parutions de cette auteure à l’étonnant aplomb.
Il m’intrigue beaucoup, on verra si j’ai l’occasion de me pencher sur son cas !