Au bord du monde est un roman rude, âpre comme l’était autrefois la vie à l’Ouest, cet ouest américain fantasmé, terre de mille promesses et de mille dangers. La frontière est un haut lieu de l’imaginaire américain et nous évoque ces villes qui poussaient comme des champignons près des ruisseaux où les pionniers tamisaient la terre en quête d’or. Le Port, la ville où se déroule Au bord du monde, est l’une d’elle : pluvieuse, sale, isolée de tout, Le Port n’est pas une de ces villes joyeuses et vaguement débauchées que l’on imagine quand on songe à l’Ouest. Elle est triste et maussade mais c’est pourtant là qu’a choisi de s’installer Jacob Ellstrom, le médecin de la ville qui n’a du docteur que le nom. Ses diplômes sont faux, et Jacob exerce la médecine au petit bonheur la chance, en priant pour ne pas être démasqué et ne pas commettre trop d’erreurs vitales.
A ses côtés, sa femme, Nell, pragmatique, courageuse, pas vraiment ravie d’être là mais tout de même prête à se retrousser les manches, et leur fils Duncan. Autour d’eux rôde Matius, le frère de Jacob, brutal, malfaisant, inquiétant.
Les protagonistes du roman de Brian Hart sont terriblement humains, prisonniers de leurs vices (l’alcool en tête) et de leurs coups de sang : la violence s’exprime sans filtre, les adultes se déchirent, et la jeune génération, n’ayant appris que le langage des poings, réitèrent les mêmes schémas. Quand Jacob perd tout, il est plus facile pour lui de tout quitter sans prévenir. Voilà Nell et Duncan seuls au monde, à la merci de Matius, sans un sou vaillant. La vie dans les confins du monde est rude et ne pardonne pas. Femme seule, Nell doit chercher le patronage d’un autre homme : tournant le dos à son beau frère, elle s’adresse au nouveau médecin installé en ville.
Au Port, la boue, le sang et le sciure ne vous quittent jamais. S’en sortir nécessiterait un effort de volonté que nos personnages ne sont pas prêts à faire. Quand la possibilité d’une ascension sociale se présente à Duncan, mais que les premiers écueils se dressent devant lui, le jeune homme renonce. C’est plus simple.
Ce qui fascine dans le récit de Brian Hart, plus que le destin de ses personnages, c’est le monde qu’il dépeint : une ville des Etats-Unis à une période cruciale de son histoire. En 1886, quand s’ouvre le récit, l’Ouest reste pour beaucoup d’Américains une chimère, un rêve lointain, une terre à domestiquer. Vingt ans plus tard, quand le grand tremblement de terre ravagera San Francisco, ville emblématique de l’Ouest, celui-ci fera pleinement partie intégrante du pays. Mais en 1886, l’Ouest est encore à construire, mais plus pour très longtemps. L’âge d’or du « Gold Rush » commence à être déjà lointain. La réalité du quotidien va bientôt se transformer en légende.
D’un abord parfois difficile et déconcertant, Au bord du monde surprend, par un style parfois sec, parfois lyrique, à l’image de la vie à l’Ouest, parfois rude et brutale, parfois sublime. Le mythe en prend un coup, mais la fascination reste intacte.
J’ai adoré ce roman, il est magnifique 🙂 Tu me rappelles que je dois faire ma chronique, merci 😉 !