De temps en temps, il prend l’envie aux acteurs de passer derrière la caméra. Cette fois, c’est Ryan Gosling (Drive, The Place Beyond the Pines, ou encore Crazy, Stupid, Love…) qui s’attelle au difficile défi de la réalisation avec Lost River, un conte sombre et singulier sur fond de crise économique.
S’il y a bien une ville américaine qui a été durement frappée par la crise de 2008, c’est bien Detroit, lieu emblématique de l’American Dream, berceau de la Motown comme de la Ford T. Canadien, Ryan Gosling a grandi non loin de cette célèbre métropole et a pu en observer le long déclin. Aujourd’hui en faillite, Detroit et sa banlieue offrent un panorama peu commun : on y voit des maisons abandonnées, vaincues par la nature, des ruines incendiées, des zones entières désertées. Mais même dans ces zones sinistrées survivent tout de même des familles : ceci est le point de départ de Lost River.
C’est dans cette ville imaginaire ravagée par le chômage et la misère la plus sombre que vivent Bones (Iain De Caestecker), sa mère Billy (Christina Hendricks, la pulpeuse secrétaire de Mad Men) et son petit frère Frankie, dans une bicoque mal entretenue faute d’argent. La mère est au chômage et en retard de trois mois pour les traites de la maison familiale. Bones, lui, gagne de quoi retaper sa voiture en désossant les maisons abandonnées pour en tirer le précieux cuivre. Jusque là, la famille vivote dans un équilibre précaire.
Mais un nouveau banquier, moins complaisant, arrive à Lost River, et le bien nommé Bully (littéralement « brute »), incarné par Matt Smith alias Dr Who, prend en grippe Bones et l’empêche de mener à bien son petit trafic de cuivre. Alors que la maison d’en face est rasée par les bulldozers, Billy doit bien se rendre à l’évidence : il lui faut agir. La voilà qui accepte l’emploi proposé par Dave le banquier…
Lost River est un bien étrange microcosme, figé dans une spirale négative : partout, des terrains vagues, où la nature a repris ses droits, des maisons envahies par la végétation. La ville s’efface au profit de la nature, à l’image des hameaux voisins, inondés lors de la création d’un lac artificiel. Depuis, selon Rat (Saoirse Ronan), la voisine de Bones, une malédiction pèse sur Lost River. Et effectivement, Lost River semble marquée du sceau du malheur : les quelques lieux qui nous sont montrés sont glauques, tristes et sombrent dans l’abandon, qu’il s’agisse de la maison de Bones, de celle de Rat ou du lac artificiel. Lors de la scène d’ouverture, un des voisins de Bones s’en va, pour toujours. Cela semble la seule solution pour espérer échapper à ce destin funèbre.
Le passé de Lost River a quelque chose d’onirique : souvent, le film tutoiera le fantastique, sans jamais franchir pour autant la limite. Tout est affaire d’atmosphère : grâce à des plans saisissants, à des paysages tous droits sortis d’un rêve aux allures de cauchemar et à une bande-son maîtrisée, Ryan Gosling construit pas à pas un film original, à l’univers bien marqué. Lost River a tout du conte : ses demoiselles en détresse (la ville, mais également Billy), ses méchants (Bully, la brute sanguinaire qui terrorise Lost River et Dave, le diable qui tire parti de la déchéance des villes) et sa légende (la malédiction du lac artificiel). Et comme dans un conte, la tension monte progressivement, à ceci près que le grand méchant loup peut parfois surprendre. Le spectateur, saisi, sait que quelque chose d’effrayant va arriver, mais n’arrive pas à déterminer ce que ce sera.
Lost River surprend, effectivement, et séduit. Il étonne par l’harmonie étonnante entre les paysages et la musique, par la narration émaillée de références (les cinéphiles verront probablement un peu du Eyes Wide Shut de Kubrick dans le nouveau lieu de travail de Billy) et par le jeu très juste des acteurs. Il y a une dimension tragique à l’histoire de cette ville sur le déclin, peu à peu abandonnée par ses habitants, et de ces villages engloutis sous le lac. Ceux-ci sont personnalisés par la grand-mère de Rat, éternelle prisonnière d’un passé figé sur pellicule, qui regarde inlassablement les images d’avant l’inondation, d’un monde aujourd’hui révolu.
La malédiction sera-t-elle levée ? A vous de le découvrir. Une chose est certaine, Ryan Gosling a passé l’épreuve du feu et a gagné ses galons de réalisateur, en imposant son style si particulier.
Pour découvrir les photos de la projection en présence de Ryan Gosling et Reda Kateb, c’est ici !
Oh un film qui me tente beaucoup. Je suis curieuse de voir Ryan Gosling derrière la caméra. Le casting aussi est intéressant. Je suis curieuse de voir Matt Smith dans un autre rôle que le docteur !
J’hésite à voir ce film car j’ai lu beaucoup d’avis mitigés…