Emmanuelle Pirotte est scénariste. A l’occasion de la rentrée littéraire 2015, elle publie son premier roman, Today we live, au Cherche-Midi.
En décembre 1944, Renée a 7 ans. Elle a perdu sa famille, mais est restée cachée chez différentes personnes, passant d’un foyer à l’autre. Or, ce mois-là, les Ardennes où elle vit sont la cible de la contre-offensive allemande. La famille qui l’héberge la remet au curé du village, persuadée que l’église sera épargnée. Le curé, lui, est moins optimiste et, voyant les allemands approcher, fuit avec l’enfant dans la campagne. Par chance, un pick-up américain croise leur route : le curé remet donc Renée aux deux G.I. et s’en retourne à l’église. Mais Renée n’est pas sauvée pour autant. Car le curé à peine reparti, elle entend les deux soldats discuter… en allemand. Et comprend qu’elle a été remise à deux S.S. infiltrés. Et la fiction embrasse l’histoire, puisque l’opération Greif, dont font partie Mathias et Hans, a été diligentée par Otto Skorzeny (abondamment cité dans le roman). Objectif ? Capturer intacts des ponts sur la Meuse pour ensuite permettre le passage des troupes allemandes et, bien sûr, se débarrasser des indésirables.
D’ailleurs, ça ne rate pas, les deux nazis arrêtent le pick-up au bord de la route, dans l’idée d’abattre sommairement la fillette. Mais au moment de presser la détente, Mathias, troublé par le regard droit de Renée, abat son camarade. Interloqué, il se retrouve donc avec la gamine sur les bras. Car s’il est clair qu’il est incapable de la tuer, que va-t-il bien pouvoir en faire ? Sans compter que la région grouille certes d’Allemands, mais aussi d’unités alliées qu’il est chargé de désorganiser…
Le résumé n’en fait pas mystère : ce roman est lourd en tension psychologique ! Mathias va-t-il tuer Renée ? La livrer aux Allemands ? Lorsqu’il apparaît que le jeune homme souhaite bizarrement protéger l’enfant, l’inquiétude change de focus. Car tout nazi soit-il, on commence à s’attacher à ce drôle de gaillard, ex-trappeur canadien familier des Indiens, ex-commando surentraîné, véritable salopard… avec un cœur. C’est là que s’exprime tout le talent d’Emmanuelle Pirotte !
Ses personnages sont riches en nuances et, à y bien regarder, aucun n’est réellement positif ou négatif. Mathias, l’opposant désigné, surprend par son extrême humanité. Du côté des Ardennais, ou même des Américains, censés attirer immédiatement notre sympathie, on est surpris par quelques personnages que l’on déteste dès la première rencontre, et à raison, tant leurs agissements sont discutables. Renée, elle, surprend par sa lucidité et son cynisme, si étranges dans le regard d’une enfant de 7 ans, mais si compréhensibles au vu des circonstances. Il n’est donc pas difficile de s’attacher à cet improbable duo, à s’immerger totalement dans leur cavale et, plus tard, dans la vie qu’ils mènent, cachés dans la ferme de la famille Paquet.
L’intrigue, de plus, est variée : à la cavale initiale succède une partie un tantinet plus calme (mais pas moins tendue) à l’abri dans la ferme. Partie qui s’achève en apothéose avec une scène digne d’un film épique ! Vraiment, on ne s’ennuie pas dans le roman. Ce qui est admirable, vu que c’est l’évolution psychologique des personnages qui est au centre de l’histoire !
Emmanuelle Pirotte parvient à rester dans ce ton extrêmement juste jusqu’à la toute fin, en offrant une fin ouverte !
Premier roman pour Emmanuelle Pirotte et quelle réussite ! On plonge sans hésitation dans ce portrait aussi juste que nuancé de la fin de la seconde guerre mondiale, riche de personnages ô combien complexes, auxquels il est difficile de ne pas s’attacher, malgré les failles qu’ils présentent. Au vu des qualités de ce premier jet, on attend impatiemment les suivants !
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