Visage du livre #6 : Marie David et Jean-Pierre Montal, éditeurs

Sur Café Powell, nous avons décidé d’inaugurer un nouveau rendez-vous, intitulé « Visages du livre » qui nous permettra de mettre en lumière un métier du monde du livre, et plus tard, espérons-le, de la culture. Cette semaine, c’est Marie David et Jean-Pierre Montal qui répondent à nos questions

En bref, parlez-nous un peu de votre métier ! Si vous deviez le décrire à quelqu’un qui n’y connaît absolument rien, comment le pitcheriez-vous ?

Marie David : Jean Jacques Pauvert nous a un jour dit qu’être éditeur c’est être un bon commercial avec du flair. Ca résume bien le métier d’éditeur : il faut bien sûr avoir ce fameux flair pour deviner ce qui va se vendre ou pas, ou déceler le potentiel d’un auteur qui débute, mais aussi être capable de promouvoir ses livres, et sa maison d’édition auprès de ceux qui vont les vendre : ça va des représentants, aux libraires, en passant par les journalistes et les blogueurs.

Jean-Pierre Montal : Il faut avoir avant tout un goût, une idée de ce que l’on aime et ensuite être capable de la  partager avec d’autres : lecteurs, libraires, critiques…

A quoi ressemble une journée type de travail pour vous ?

Jean-Pierre Montal : Dans une maison comme la nôtre, il faut tout faire, des enveloppes à la lecture des manuscrits, en passant par les relations avec les agents d’auteurs, le diffuseur, les imprimeurs, répondre au coursier perdu, tenir la comptabilité… La journée se passe comme elle le peut, en essayant de ne négliger aucune urgence. On peut aussi voir le bon côté des choses : il n’y a pas vraiment de journée type, donc jamais vraiment de routine.

Quels sont vos formations et vos parcours respectifs ?

Marie David : De mon côté je suis ingénieur de formation. J’ai travaillé 15 ans dans la banque dans des métiers plus ésotériques les uns que les autres. J’ai appris le métier d’éditeur sur le tas.

Jean-Pierre Montal : Rien. Un bac, des groupes de rock, un peu de presse et de la publicité.

Visages du livre, Marie David, Jean-Pierre Montal, éditeur, Rue Fromentin
Visuel : Rue Fromentin

Avez-vous des conseils à donner à quelqu’un qui souhaiterait devenir éditeur ?

Marie David : Cf plus haut ! Il faut avoir des goûts marqués mais également « sentir » ce qui va plaire ou non. Car le but est avant tout de rencontrer un public. Concilier ses propres goûts et celui du public, c’est ce que je trouve le plus passionnant dans le métier.

Jean-Pierre Montal : Il vaut mieux être patient…  aucun de nous deux n’a cette qualité mais nous l’avons apprise avec l’édition.

Quelles sont les idées reçues que vous entendez le plus sur votre métier ? Celles qui vous énervent comme celles qui vous font rire ?

Marie David : La plupart des idées reçues viennent des postulants auteurs : on ne lit pas les manuscrits, tout se fait par cooptation. C’est à la fois vrai et faux. Je n’aime rien tant que de tomber sur un manuscrit envoyé par la poste pour lequel j’ai un coup de foudre, mais je dois avouer que c’est rare : il faut en lire énormément avant de trouver un manuscrit valable. C’est parfois même assez décourageant. En échange les manuscrits « co-optés » ont un meilleur taux de succès, puisque les gens ne nous adressent que des textes dont ils pensent qu’ils pourraient nous plaire.

L’autre idée reçue concerne les Etats Unis : la production littéraire là bas serait monotone, uniformisée par les ateliers de creative writing. Nous éditons beaucoup de littérature américaine, et je ne trouve pas du tout que la production soit uniforme. Ce qui est certain c’est que l’écriture est plus considérée là-bas comme un artisanat, il n’y a pas le mythe de l’écrivain, très français. Les auteurs travaillent énormément leurs textes, souvent avec l’aide de leur agent. Alors, oui, parfois on sent les ficelles, mais je ne trouve pas du tout que ce soit uniforme.

Jean-Pierre Montal : Les éditeurs ne lisent pas. Cliché très amusant. Sinon, autre idée reçue à mon avis, il faut une ligne éditoriale la plus serrée possible. Si vous faîtes un polar, continuez, ne publiez rien d’autre. Pareil si vous éditez un jour un auteur bulgare, ne faîtes plus que du bulgare. Même s’il ne s’agit pas de partir dans tous les sens, il me semble important que le catalogue « respire ».

Quels sont vos livres de chevet ? Ceux que vous conseillerez absolument, comme ceux que vous lisez en ce moment ?

Marie David : En ce moment je lis L’affaire Maurizius de Jacob Wasserman, un fantastique roman allemand des années 30, sur la justice. Je lis aussi Leila Mahdi de Didier Blonde. Mes livres de chevets sont la littérature française du XIXème siècle (Balzac, Flaubert…), mais aussi Donna Tartt, Houellebecq ou Modiano.

Jean-Pierre Montal : Nous partageons une passion pour le roman français du XIXe siècle, je ne connais rien de plus fort que Flaubert. En littérature contemporaine, j’aime beaucoup Houellebecq, mais aussi Simon Libérati ainsi qu’un auteur comme Olivier Maulin, un génie comique. Du coté américain, je suis un inconditionnel de Tom Wolfe, Kem Nunn et Meg Wolitzer dont nous avons publié Les Intéressants. Mon dernier choc a été Joseph Roth. Très, très impressionnant.

Visages du livre, Marie David, Jean-Pierre Montal, éditeur, Rue FromentinVisages du livre, Marie David, Jean-Pierre Montal, éditeur, Rue Fromentin

Quel genre de lecteur êtes- vous en règle générale ?

Marie David : Très désordonnée : je lis souvent 6 à 8 livres en même temps. Et je lis dans des genres très variés, j’aime autant les polars que les livres de vulgarisation scientifique. Je relis énormément, une habitude que j’ai gardée de l’enfance (je peux relire dix fois un livre que j’ai aimé).

Jean-Pierre Montal : Têtu et un peu bas du front. Quand je découvre un auteur, il faut que je lise tout, parfois même dans l’ordre chronologique.

Comment imaginez- vous le métier d’éditeur dans 5 ans ?

Marie David : Je ne pense pas qu’il va changer énormément, en France en tous cas. Le livre numérique gagne lentement du terrain, mais le papier résiste ! Contrairement aux discours défaitistes, je trouve qu’il y a encore une belle production littéraire en France, dynamique et variée. La preuve : de nouveaux éditeurs se lancent tous les jours.

Vous avez également chacun écrit des livres (Les années Foch de Jean-Pierre Montal, ed. Pierre-Guillaume de Roux, a été sélectionné pour le Prix de Flore 2016). Ce n’est pas trop difficile de mettre de côté l’éditeur pour laisser écrire l’auteur ?

Jean-Pierre Montal : Pas tellement. Il faut se concentrer sur ce que l’on a à dire, sur les personnages. On oublie assez vite le reste. Quand l’histoire vous tient à cœur, vous avancez sans vous demander en permanence : « est-ce que je publierais ce truc en tant qu’éditeur ?  » Et puis, c’est comme pour tout, ce n’est pas forcément un mal – au contraire !- de se retrouver de l’autre côté de la barrière, d’être jugé à son tour. En écrivant, on réalise combien cela peut être parfois décourageant, difficile. On mesure les efforts consentis par les écrivains qui nous envoient leur manuscrit.

Merci à Marie et à Jean-Pierre pour le temps qu’ils nous ont consacré ! Nous vous invitons à aller jeter un œil au site des éditions Rue Fromentin.

Propos recueillis par Jeanne de Bascher

A propos Kévin Costecalde 354 Articles
Passionné par la photographie et les médias, Kévin est chef de projet communication. En 2012, il a lancé le blog La Minute de Com, une excellente occasion selon lui d'étudier les réseaux sociaux et l'actualité. Curieux et touche-à-tout, Kévin aime les challenges, les voyages et l'ironie.

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