Zaz, sincérité, simplicité

Je suis plutôt grand consommateur d’images que mélomane invétéré qui saurait discerner avec agilité les notes d’une composition et reconnaître les instruments entre mille, et mes amis ont toujours eu l’habitude de m’attribuer les pires sobriquets sur mes goûts musicaux qu’ils jugeaient peu convaincants, de piètre qualité, trop commerciaux à leur goût. La critique, c’est ainsi le seul écho qui a toujours résonné à l’annonce de mes goûts musicaux, ou à mes vaines paroles lorsque j’avais l’audace de leur conseiller, tout simpliste que j’étais et non sans une pointe d’ingénuité, quelques « bons groupes » qui me plaisaient.

La critique, c’est cette triste dame, arrogante et dérangeante qui, sous ses airs un peu pompeux et ses mimiques de Madame-je-sais-tout, a toujours accompagné Zaz dans chacune de ses productions musicales. Les productions musicales de cette artiste, au timbre rauque et au style jazz manouche typique, furent souvent mises à l’index par ces « tous puissants » de la critique, pourfendeurs de grandes mélodies et défenseurs des Codes de la musique, qui de leurs bons mots à la lame acérée, assenèrent de leurs rires gargantuesques le coup ultime, sanglant, tranchant, irrévocable, et ce avant même que ne retentisse une seule de ses notes : « musique de piètre qualité, chanteuse en carton ».

Par « chanteuse en carton », beaucoup font allusion à ce petit bout de femme, au corps frêle, toute timide, qui d’une voix puissante et vibrante à la fois, fait exploser cet halo de fragilité qui l’entoure. Ses capacités vocales détonnent avec cette taille svelte, ce physique élancé, pour lequel on n’aurait pas un instant parié qu’il masquait la présence d’une voix d’alto, grave et profonde. On aurait pu penser que le public n’allait en faire qu’une bouchée… et pourtant, c’est elle qui parvient à le captiver, à le faire taire, le laissant appréhender ce silence qui se tait, sous les assauts de son puissant organe vocal. Constamment rabaissée par la critique qui tentait de crier plus qu’elle ne chantait, blessée et indignée par la virulence de certains mots, de certaines voix qui l’attaquaient sans raison, elle s’est à plusieurs reprises inclinée face aux huées, en voyageant, en se ressourçant loin de tout ce vacarme sonore, pour se retrouver et revenir, plus forte. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, force est de constater qu’elle ne laisse pas indifférente.

Zaz sait captiver les foules, créant la surprise dès les premières notes, dans un silence pesant qui s’installe, tout juste rompu de sa voix rauque, rocailleuse, brute. Dans un silence unanime, incomparable, une douce accalmie dans un quotidien agité, où toute les respirations se bloquent au son de sa voix, où pas une fausse note ne viendra rompre ce moment d’harmonie collective. Avez-vous vu son interprétation aux Enfoirés 2013, sur la célèbre chanson d’Adèle, Someone Like You ? Pas un de ces milliers de spectateurs ne bronche. Sa voix arrête le temps, nous stabilise dans un atemporel surprenant, éloquent, rompant l’effervescence dérangeante et chronophage de toutes ces choses qui ne cessent de retenir notre attention. Silence, elle chante. Se taire et écouter, n’est-ce pas aussi simple, finalement ?

Les mélodies sont épurées – accompagnées de quelques instruments d’une pureté extraordinaire, tels que le piano ou le violon –, sans extravagance aucune, ses compositions sont une palette d’émotion, sans joie excessive, sans tristesse plaintive, tout en mesure et en modération. Ne vous méprenez pas, derrière ce timbre de voix puissant, pointe une douceur et une sensibilité à fleur de peau. Celle que l’on compare souvent à Edith Piaf pour cette voix qui déraille et ces faiblesses qui émanent de ces quelques aigus transperçants, n’a-t-elle pas simplement le mérite de ne ressembler à aucune autre de ces artistes ? Il n’y a dans Zaz aucun trait de ces marionnettes siliconées desquelles ne se dégagent aucune émotion.

Chanteuse anticonformiste, Zaz est un ovni dans un monde musical si codifié, pour s’être positionnée différemment face à la société de consommation, proférant des paroles légères, face à un monde musical dégénéré qui exalte le sex et des bimbos décolorées ; pour prôner une musique « pour le plaisir » et pour la création musicale en elle-même : « Ça me soigne, ça me guérit, ça me permet de canaliser mon énergie, d’exprimer ce que j’ai à l’intérieur, en essayant de faire quelque chose de joli, en le travaillant et ça me permet de fédérer, d’être ensemble ». La musique, sacrée, n’est pas un art au service de la société de consommation. Ses textes, travaillés, aux formes heureuses, évoquent les tracas de la vie quotidienne, les bobos douloureux de la vie, la solitude, l’amour, le vieux Montmartre… Zaz nous fait penser à une Edith Piaf des temps modernes, avec cette profondeur d’un autre temps, cette voix un peu tragique et cette fausse légèreté. Elle est, sans aucun doute, une écorchée vive, qui nous cueille et balaie d’un souffle, d’une simple intonation, le superflu de notre petite vie tranquille. Combien d’artistes, de nos jours, parviennent à interpréter leurs compositions avec brio, dans les conditions du direct, alors que pour d’autres toute une artillerie d’instruments et de tables de mixage ne parviendrait à masquer qu’avec difficulté les fausses notes, les grosses faiblesses et les incapacités d’interprétation ? Pour preuve, de grands noms de la musique française composent à présent pour elle, tel que Jean-Jacques Goldman, pour n’en citer qu’un.

Beaucoup l’ont accusée d’être fausse. Pour ma part, j’y vois une sincérité et une simplicité qui enterrent toute l’arrogance d’un monde musical « perverti », à présent à mille lieux des piliers de notre patrimoine musical, obsédé par le fric, monté de toute pièce à l’aide d’une batterie d’ordinateurs. Zaz en en mot ? Sincérité. (simplicité).

L’une de ses toutes dernières chansons.

Par Maxime

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