ROMAN AMÉRICAIN — Lucy De Bourgh, c’était cette fille que tout le monde admirait. Issue d’une des familles les plus huppées de la côte Est, séduisante, spirituelle, un brin bohème, Lucy était une de ces It girls avant l’heure, parfaitement à l’aise à Manhattan comme à Paris. C’est cette image que conserve en tête Philip, le narrateur de Souvenirs d’un mariage : une fille bien comme il faut, joyau de la haute société américaine, solaire, à la vie toute tracée. Une fille qui ne peut qu’être heureuse.
Une image, donc, qui ne coïncide pas avec la Lucy qu’il revoit bien des décennies plus tard, désormais âgée et indéniablement aigrie. Bien sûr, Philip se souvient que Lucy a fait un mariage surprenant, à la fois pour l’époque et pour son milieu, en épousant le fils d’un garagiste, Thomas Snow. Lucy va faire de Philip son confident et lui raconter en détails le naufrage de son mariage avec l’ambitieux Thomas.
À travers le récit amer et partisan de Lucy, le lecteur pénètre l’intimité d’un couple qui n’aurait probablement jamais dû se marier, et découvre une femme déçue par la vie, qui est probablement passée à côté de sa propre existence. Difficile d’en faire un personnage attachant : Lucy apparaît comme une enfant capricieuse à qui on aurait retiré son jouet préféré. Heureusement, Philip, le narrateur, arrive à prendre du recul, même s’il ne parvient pas à dissimuler l’étrange fascination qu’il éprouve pour Lucy et ses confidences pourtant parfois gênantes. Mais Philip est écrivain, et les écrivains sentent quand ils tiennent là une bonne histoire…
Souvenirs d’un mariage nous plonge dans le récit d’un homme qui écoute l’histoire d’une femme revenue de ses illusions. Par le prisme de Philip, le lecteur s’interroge pour essayer de reconstituer le puzzle : qui était Thomas Snow ? Un pèquenot arriviste obsédé par le prestige social de sa femme, ou un homme frustré par ce monde qu’il devine mais dont on lui défendra toujours l’entrée ? C’est l’occasion pour Louis Begley de jouer avec la notion de subjectivité. Une même histoire peut être perçue de façon bien différente selon la personne qui la raconte… Ne serait-ce pas là, au fond, une belle leçon sur la fiction en règle générale ?
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