Margaret Wrinkle est le nouveau grand nom des lettres américaines : la presse outre-Atlantique n’hésite pas à la porter aux nues, la comparant à Toni Morrison et à William Faulkner, tout de même. C’est aux éditions Belfond que nous pouvons découvrir sa prose sensible et touchante, et faire connaissance avec son personnage principal, Washington, dit « Wash ».
Nous sommes dans le sud profond des Etats-Unis, au début du XIXe siècle, terre esclavagiste et violente. Wash est un esclave, il n’a connu que les fers toute sa vie. Sa mère, Mena, a été violemment arrachée à l’Afrique quand elle était encore une toute jeune femme, enceinte. Wash est grand, fort, fier, beau. D’une nature rebelle et sanguine, il n’est pas bon à grand chose aux yeux de son maître Richardson, car sa nature le porte à s’énerver vite. Qu’importe ! Richardson lui trouvera une autre occupation, sordide, abjecte : puisqu’il est désormais interdit d’importer des esclaves d’Afrique, Wash sera son étalon reproducteur, on le mènera chaque semaine féconder les esclaves des voisins, contre rémunération. Un viol légal et systématique, auquel Wash ne peut finalement rien. Bientôt, dans toutes les plantations des environs, Wash découvre sur les enfants des traits de son propre visage. Une manière, peut-être, d’atteindre l’immortalité. En eux, coule le sang de ses ancêtres africains.
Récit coup de poing, Wash est porté par trois voix, et de subtils retours en arrière nous permettent de nous plonger dans l’histoire de Wash, l’esclave rebelle, défiguré d’un coup de marteau et marqué du sceau de l’infamie, de Pallas, une jeune guérisseuse mais également de Richardson, l’esclavagiste, ancien révolutionnaire américain. Faisant fi de toute manichéisme, Margaret Wrinkle ne fait pas du vieil homme un tyran sanguinaire, elle en dresse un portrait en demi-teinte, portant toujours le deuil de sa première épouse, profondément marqué par l’opprobre d’une débâcle militaire, finalement peu satisfait de sa vie. Il n’y a nulle caricature, nul cliché dans le récit de la vie de Wash. Une étrange relation se noue entre le maître et l’esclave, Richardson tirant un certain réconfort des secrets qu’il confie à Wash quand, l’esprit embrumé par l’alcool, il passe la soirée avec lui dans l’écurie. Peu à peu, Richardson délaisse son foyer, ses héritiers, son épouse, pour se soulager la conscience auprès d’un homme qui rejette violemment cette intimité, mais est poings et pieds liés. La plantation n’est pas le succès espéré, ses héritiers ont les dents longues, il a déçu son père… Wash n’a que faire des lamentations du vieil homme, qui semble fasciné par son esclave.
Comment réussir à se ménager quelques espaces de liberté ? Wash essaie coûte que coûte de se construire une identité, de n’être pas que la propriété d’autrui, fort des récits de ses ancêtres que sa mère lui contait quand il était enfant, et des rituels chamaniques auxquels elle l’a initié. Mena est la seule à pouvoir tempérer le caractère fougueux de Washington, qui lui cause bien des ennuis, lui attirant la haine des fils Thompson, chez qui il a autrefois séjourné quand Richardson était à la guerre. Car Wash énerve, par sa vigueur, son esprit rebelle, sa force…
Servi par une écriture puissante et visuelle, le récit de Wash, tragique et violent, s’impose à notre esprit : nous verrions presque les champs de coton, les routes poussiéreuses, la forge de Rufus, comme il nous semble distinguer la forêt où Rufus, justement, a été autrefois capturé en Afrique, et la navire qui a autrefois emmené Mena loin des siens. Mena, impossible à soumettre, capable de s’enfoncer loin en elle-même pour échapper à la violence de sa situation, à la privation de liberté. Rufus, colosse d’ébène, véritable figure paternelle pour Wash… Pallas, enfin, profondément meurtrie par son passé… Ce trio forme la tribu de Wash, un semblant de famille.
Certaines des scènes sont difficiles, à la limite de l’insoutenable : ce qui est suggéré, plus que montré, laisse le lecteur profondément mal à l’aise. Mais ces passages, tel l’instant où le fer chauffé à blanc s’approche de la joue d’un Wash inconscient ou le moment où Pallas comprend qu’on l’a louée pour être le jouet sexuel des fils d’un ami de son maître, sont nécessaires à un portrait sans concession de l’esclavage.
Un grand roman américain, assurément, dans la lignée de Racines, d’Alex Haley.
Wash, Margaret Wrinkle. Belfond, septembre 2014. Traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut.
Par Emily Vaquié
Ça a l’air vraiment dérangeant. Je ne sais pas si je pourrais supporter tout ça et réussir à apprécier le livre, il me fait un peu peur. J’ai du Toni Morrison dans ma PAL de toute façon, avant de réfléchir à Wash, qui a l’air malgré tout intéressant et puissant 🙂
Morrison, Haley, Wrinkle : ça peut faire une bonne idée de cycle !
Il faut vraiment que je le lise !!!