Le retour du King
Depuis longtemps déjà, nous avons l’habitude de voir surgir sur les tables des librairies chaque année le nouveau best-seller en date de l’écrivain Stephen King. En quelques décennies d’écriture, l’auteur américain s’est imposé comme le maître de l’horreur. Souvent raillé pour ses nombreux succès commerciaux , son statut d’auteur populaire, et ses publications aussi régulières qu‘une Amélie Nothomb, Stephen King n’en est pas moins un auteur, un vrai de vrai, qui, s’il est parfois inégal, a à son palmarès quelques uns des titres les plus marquants de la littérature américaine de la fin du XXe siècle. De nos jours, il est difficile de regarder un clown sans avoir un frisson (à cause de ça, fresque terrible dans laquelle un monstre décime des enfants dans les années 50), ou de voir le sourire inquiétant de Jack Nicholson sans se remémorer Jack Torrance, hache en main, courant dans l’Overlook dans Shining.
22/11/63
Dans son nouveau roman, Stephen King délaisse l’horreur pour s’approprier un des plus grands mythes américains : John Fitzgerald Kennedy et son assassinat à Dallas le 22 novembre 1963. L’assassinat de Kennedy est un des plus grands mystères de l’histoire américaine : Lee Harvey Oswald a-t-il agi seul, ou dans le cadre d’une conspiration, orchestrée par le CIA, la mafia, voire par les Russes ? Pourquoi Jack Ruby a-t-il descendu Oswald quelques heures après son arrestation ? Quid de la magic bullet ?
Dans 22/11/63, le meurtre de JFK apparaît comme un des smoment où l’histoire a basculé, un peu comme l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo en 1914 a précipité le monde dans la guerre. Si Kennedy avait vécu, que se serait-il passé pour la lutte des droits civiques, pour le Vietnam, pour la guerre froide, puis, plus tard pour la guerre du Golfe ?
De 2011 à 1958
Nous sommes en 2011. Jake Epping est un professeur d’anglais de trente-cinq ans, divorcé, vivant seul avec son chat. Un jour, il reçoit un coup de téléphone qui va changer sa vie : son ami Al, tenancier d’un petit restaurant dans une caravane, lui demande de venir de toute urgence. Surprise : Al, qui hier encore semblait en pleine forme, est aujourd’hui bien mal en point : il a perdu du poids, ses cheveux ont blanchi, sa peau est jaunâtre. Al est mourant. Et avant de se laisser vaincre par le cancer, il a une tâche à confier à Jake. Au fond de la caravane d’Al se trouve une faille temporelle. Jake se retrouve projeté en septembre 1958 : il n’en croit pas ses yeux, et retourne bien vite en 2011 après avoir découvert avec émerveillement la ville qu’il connaît bien en 2011 complètement transformée en 1958. Al lui explique alors qu’il aimerait que Jake change le passé, en empêchant Lee Harvey Oswald de tuer JFK le 22 novembre 1963. Jake part donc pour 1958, prêt à une longue attente avant de peut-être, un jour, rentrer dans l’Histoire.
Back to the future…
Si Stephen King est parfois moins bon que d’ordinaire (oubliez par exemple Désolation), il a aussi parfois des coups de génie : 22/11/63 fait partie des très excellents livres de l’auteur, dans la lignée de ses meilleures livres. Sur près de mille pages, Stephen King nous emmène dans l’Amérique des années Eisenhower et du début des sixties, avec beaucoup de nostalgie et de réalisme. Le lecteur ne peut que se reconnaître en Jake, un peu perplexe devant les Etats-Unis de l’époque. Devenu Georges, Jake découvre les prix bas de l’époque, les expressions à la mode, les us et coutumes tout en essayant de se débarrasser de ses manies d’homme du XXIe siècle. Il est un peu difficile de prendre le pli et d’oublier qu’on a un jour eu un téléphone portable et Internet, mais Jake apprend à se fondre dans le paysage : il se coupe ses cheveux en brosse, se trouve un chapeau et oublie bien vite sa Toyota au volant d’une superbe Ford sunliner. La faille temporelle ne débouche que sur cette matinée de septembre 1958, à l’infini. Et chaque voyage annule donc le précédent. Ce sont les années 50 pour toujours, si on le souhaite. 22/11/63, outre un excellent roman de science-fiction, est également une véritable fresque sociale, avec une précision presque photographique. Stephen King dresse le portrait de l’Amérique de la fin des années 50 : la deuxième guerre mondiale et la guerre de Corée sont encore bien présents dans les esprits, la ségrégation est encore une réalité dans le sud, et on est globalement plus confiant qu’en 2011. Le terrorisme n’existe alors pas, le pétrole coule à flot, le qu’en-dira-t-on fait sa loi. C’est l’époque du rock, on écoute Chuck Berry en secret, et Salinger est interdit dans les bibliothèques scolaires. Le roman de Stephen King tient de l’étude sociologique : l’auteur nous tend les clés d’un passé qui n’était pas tout rose, mais qui n’est pas dépourvu de charme pour autant.
Peut-on changer le passé ? Jake découvre bien assez vite que ce n’est pas chose aisée, que le passé se débat et use de tous les stratagèmes possibles pour vous empêcher de mener vos projets à bien. Si les enjeux n’étaient pas si importants, cela serait presque risible. Avant de se risquer à bousculer l’Histoire, Jake décide de mesurer les effets de ses actes en sauvant la famille Dunning, car il sait que le jour d’Halloween 1958, le père Dunning va décimer sa famille à coup de marteau. Le voilà quittant la petite ville de Lisbon Falls, où il vivait en 2011, pour rejoindre le Derry de 1958. Derry, cela ne vous dit rien ? Cette petite ville, d’apparence tranquille mais où les habitants sont parfois franchement hostiles, a été quelques mois auparavant le théâtre d’évènements étranges, et de disparitions d’enfants. Vous l’aurez deviné, Stephen King s’amuse à croiser, pour notre plus grand plaisir, deux de ses intrigues en permettant à Jake de vivre quelques temps dans la ville qui a abrité un de ses plus grands romans. Cette première étape n’est que le prélude à la quête de Jake, qui, du Maine, descendra vers la Floride, puis le Texas. Roman dense et complexe, 22/11/63 meuble avec talent les cinq années dans le passé de Jake : il fera des rencontres, vivra des drames, sera heureux, tout en continuant à suivre du coin de l’œil la vie de Lee Oswald afin d’être prêt le jour J. Si on remarque tout de même quelques longueurs quand Jake retranscrit les faits et gestes de Lee Oswald, elles sont noyées dans l’ensemble d’un roman qu’on a par ailleurs beaucoup de peine à lâcher. 22/11/63 est de l’étoffe de ces romans qui nous font passer des nuits blanches car on n’arrive pas à les lâcher. 22/11/63 est très bon, probablement l’un des meilleurs romans de Stephen King, peut-être même meilleur que ça ou Salem. Il ne faut absolument pas passer à côté de ce roman-là.
Pour aller plus loin, on vous conseillera Replay, de Ken Grimwood, un roman également excellent, dans lequel un personnage se retrouve projeté dans les années 50 à sa mort dans les années 80. Il vit alors plusieurs vies, étant renvoyé dans le passé à chacune de ses morts. Il tentera lui aussi d’empêcher l’assassinat de Kennedy…
22/11/63, Stephen King. Albin Michel, 2013.
Par Emily
Il faut absolument que je me fasse offrir ce bouquin pour mon anniversaire !!! Vite un coup de téléphone à mon père *enmodemonpapounetdamour*
Un excellent roman de Stephen King, dans lequel l’auteur nous démontre qu’il n’est pas qu’un spécialiste de l’horreur…. mais un conteur avant tout!
On ne peut plus d’accord (et cet article me donne envie de relire Replay!)… J’étais déjà accro à « Dôme », qui m’avait fait perdre toute vie sociale pendant quelques semaines, mais celui là est tout simplement prodigieux ; ceux qui considèrent encore Stephen King comme un vulgaire écrivain de livres horrifiques ne savent pas ce qu’ils ratent!
Un grand roman d’aventure, une histoire d’amour, un thriller – nom de Zeus, j’ai juste peur qu’il soit adapté et pas réussi!
Il faut absolument lire Replay, effectivement ! Pas aussi bon que 22/11/63 mais un coup de coeur tout de même.
Pitié, par d’adaptation…!
Excellent roman, et la critique présente est plutôt sympathique.
Voici la mienne :
Très belle chronique pour un roman qui m’a passionnée, aussi bien pour son côté SF que pour sa chronique d’une époque révolue (et l’émouvante histoire d’amour).
Merci Frankie ! C’est vrai que l’histoire d’amour est très touchante. Des mois après ma lecture, je reste émue par ce roman…