En ce début de printemps, Belfond propose à ses lecteurs deux portraits de père touchant, avec Pour une fois, de David Nicholls et Ce qui restera de nous, de Mark Gartside. Le roman de Mark Gartside oppose, à vingt ans d’intervalles, deux versions d’un même personnage, Graham Melton. Tour à tour fils, puis père, Graham est un pur produit de l’Angleterre des années Thatcher : élevé dans une petite ville industrielle, durement touchée par la crise, le jeune garçon grandit entre un père violemment opposé au gouvernement conservateur en place et une mère plus modérée, figure forte de son enfance. Nous découvrons Graham en 1985 : il a quinze ans, et est sur le point de tomber éperdument amoureux. Puis, chapitres après chapitres, nous suivons un Graham à l’aube de ses quarante ans, en 2009, père célibataire essayant d’inculquer à son fils adolescent quelques valeurs.
Graham est un homme calme et posé, qui travaille comme comptable. Il vit seul avec Michael, quinze ans, dans une grange qu’il a retapée avec ses proches. Michael vient d’entamer une relation avec une jeune fille, Carly. Graham se trouve alors impuissant à freiner les ardeurs de son fils, et à lui transmettre les valeurs qu’il tient de ses parents. Cette fougue adolescente le ramène vingt-cinq ans en arrière quand, à une soirée, il a rencontré Charlotte, la mère de Michael. Que s’est-il passé entre 1985 et 2009 ? Où est la mère de Michael ? Le lecteur ne peut alors qu’émettre quelques hypothèses.
En 1985, la relation qui se noue entre Graham et Charlotte ne débute pas sous les meilleurs auspices. Il est résolument travailliste, aime la bière et est né dans une famille d’ouvriers. Son père à elle conduit une Jaguar, elle ira à l’université, a un frère conservateur et fier de l’être. En somme, Graham et Charlotte sont issus de milieux tout à fait différents : Mark Gartside nous dépeint l’idylle d’un Roméo et d’une Juliette britanniques, à l’heure où la différence de classe sociale peut sembler un obstacle insurmontable. Pourtant, Graham et Charlotte tiennent bon. Vingt-cinq ans plus tard, Graham se souviendra de son obstination, alors même que son fils Michael devient la cible d’une bande de voyous, qui réprouvent sa relation avec Carly. Graham tente de séparer les deux adolescents. Mais quand est-il devenu si raisonnable, quand a-t-il oublié à quel point l’amour prime sur le milieu ? Roman entre larmes et rires, Ce qu’il restera de nous évoque la difficulté d’être père et le désarroi de l’adulte qui mesure le chemin parcouru depuis sa propre adolescence, et à quel point il est facile de mettre de côté nos idéaux de jeunesse. L’Angleterre, à l’image de Graham, a bien changé depuis les années 80. Les travaillistes ont repris le pouvoir. La dame de fer, qu’abhorrait tant Graham, est à la retraite depuis bien longtemps. Graham se sent dépassé par une jeunesse de plus en plus débridée, de plus en plus irrespectueuse et violente. Il se souvient alors de sa relation avec son propre père, et à l’étrangeté de se retrouver en position inverse, incarnant la raison et l’ordre face à un adolescent turbulent. Les relations familiales sont au cœur de l’intrigue, au même titre que l’évolution de la société britannique, grâce à l’effet de symétrie entre les deux récits.
Véritable fresque sociale, Ce qui restera de nous est un roman fondamentalement honnête et émouvant, qui, grâce au point de vue alterné, permet une véritable profondeur de l’intrigue. Le lecteur progresse à petits pas, découvrant la genèse de la relation de Graham et Charlotte, puis le quotidien de Graham, devenu en chemin père célibataire. De nombreux sujets graves sont abordés, tels que l’alcoolisme, le deuil, Alzheimer, le cancer, les agressions. Tout cela nous donne un roman très complet et très équilibré, que l’on dévore avec grand plaisir.
Ce qui restera de nous, Mark Gartside. Belfond, 2013.
Par Emily Vaquié
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