Le Chardonneret

Magistral. Donna Tartt est un de ces auteurs qui se font rares, et qui ne publient qu’une fois tous les dix ans, ce qui leur permet de peaufiner leurs textes et de faire de leur publication un véritable événement. Le Chardonneret est un livre que les fans de Donna Tartt attendaient, mais qui intrigue aussi les autres, ceux qui ne connaissent cet auteur que de nom. Véritable pavé, roman d’apprentissage comparé tout de même à ceux de Charles Dickens, Le Chardonneret fait déjà couler beaucoup d’encre, avant même sa sortie dans les librairies françaises le neuf janvier.

Le Chardonneret conte l’histoire de Théo, un new-yorkais de treize ans qui perd sa mère dans une explosion en plein cœur de Manhattan, dans un des musées les plus prestigieux. Le jeune garçon est un des rares survivants de l’attentat. Dans la frénésie du moment, il dérobe un tableau de petite taille, Le Chardonneret, véritable fil rouge du récit. Puis, une nouvelle vie commence pour Théo, qui vivait seul avec sa mère, son père s’étant fait la malle de manière fort peu élégante un an auparavant.

Quatorze ans plus tard, nous retrouvons Théo, devenu adulte, prostré dans une chambre d’hôtel d’Amsterdam. Il ne sort que très peu de sa chambre, craignant visiblement quelque chose. Qu’est-il arrivé à l’adolescent de treize ans, curieux et futé, pour qu’il devienne cet adulte drogué et angoissé ?

Quel roman que Le Chardonneret, très dense et en même temps très fin ! C’est un de ces livres sur lequel on passe une semaine, voire deux, tant son contenu donne à réfléchir. C’est un roman, un vrai, avec une sacrée bonne histoire et des personnages sculptés au millimètre près ! Théo, narrateur, est l’exemple le plus parlant : le lecteur le découvre adolescent et insouciant avant le drame, puis torturé après, avant de le voir émerger en adulte magouilleur et déprimé. Ces premières pages où le lecteur le découvre encore très jeune, mais pourtant déjà très intelligent donnent le ton. Le lecteur sait qu’il va se passer un drame. L’atmosphère du roman se fait pesante, vibrante. Quelque chose d’horrible va se passer. Théo erre de salles en salles avec sa mère, enthousiasmée par les œuvres d’art qu’elle lui montre, dont Le Chardonneret, cette toile que Donna Tartt décrit et analyse avec beaucoup de finesse. Théo, lui, redoute l’avenir car sa mère et lui ont rendez-vous au collège, pour parler d’une bêtise qu’il a faite et qui lui semble alors monstrueuse. Son œil est attiré par une adolescente rousse de son âge, accompagnée par un vieil homme voûté. Tout est alors en place. L’horreur se déchaîne. Théo devient orphelin. Et le voleur d’une des plus célèbres œuvres d’art hollandaises.

le chardonneret

Donna Tartt décrit avec beaucoup de doigté la tempête qui agite l’esprit du jeune garçon : le deuil est certes un élément central de l’intrigue, mais la culpabilité du jeune garçon est probablement ce qui frappe le plus le lecteur. Théo se sent responsable de la mort de sa mère, et craint aussi pour le tableau. Et si on le trouvait ? Et s’il l’abîmait par mégarde ? Le jeune garçon vit dans la peur. Peur d’être envoyé en prison, mais également peur des espaces bondés et confinés, d’une foule trop importante. Donna Tartt montre sans jamais trop en faire les conséquences du choc qu’a subi le jeune garçon, et la jeune fille rousse, que le destin va lui permettre de retrouver. Le syndrome post-traumatique est un élément très important de la construction du personnage de Théo qui, en plus de souffrir du deuil et d’une peur constante, se sent bientôt étouffé et envahi par la sollicitude des adultes autour de lui. Chacun ne cesse de lui demander comment il va, s’il surmonte l’épreuve, et de lui asséner des vérités toutes faites « il faut aller de l’avant », ou « un pas après l’autre ». Théo éprouve alors le besoin désespéré d’être normal. Mais la tragédie le poursuivra toute sa vie.

Mais cette tragédie est également le point à partir duquel toute sa vie dévie. Contraint d’aller vivre temporairement dans la famille huppée de son seul ami Andy, Théo fait de nombreuses rencontres qui vont modeler sa nouvelle vie : Hobbie, un antiquaire bienveillant, la jeune Pippa, et plus tard, Boris, un adolescent drogué et alcoolique particulièrement débrouillard. Auprès de Hobbie, un personnage lumineux, Théo apprend l’amour des beaux objets, du mobilier chargé d’histoire, alors qu’aux côtés de Boris, il découvre l’attrait glauque de la drogue et une existence borderline. Deux existences totalement différentes lui tendent les bras. Au fil des pages, le fossé entre le jeune orphelin de treize ans et l’adulte perdu se comble. Donna Tartt maintient un véritable suspense jusqu’à la fin, ne négligeant pas quelques coups du sort et retournements de dernière minute de temps en temps, entre de longs chapitres plus descriptifs, à la fois plus visuels et plus introspectifs.

Récit ultra-maîtrisé, grand roman magistral, Le Chardonneret est un livre très complet, aux multiples facettes, qui explore le deuil et le sentiment de culpabilité du survivant, tout en explorant le monde de l’art et des faussaires, ce qui entraîne de très belles descriptions de meubles et de tableaux. Le Chardonneretaborde également des thèmes plus traditionnels comme le passage à l’âge adulte ou l’amitié, et déroule de belles pages sur New York, ville culturelle, aux manoirs remplis de vieux meubles patinés, aux avenues bondées, où l’on tombe sur un musée, un cinéma, un petit restaurant sympathique au moindre coin de rue. Les fans auront certes dû attendre une décennie pour lire de nouveau Donna Tartt, mais l’attente en valait largement la peine !

Le Chardonneret, Donna Tartt. éditions Plon, 9 janvier 2014. 

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

4 Commentaires

  1. Votre critique est superbe. Je ne comprends pas pourquoi je m’ennuie tant dans ce roman.
    J’en suis à la 323ème page et je m’apprête à laisser tomber (3 semaines que je suis dessus), je commence à fortement me lasser des cuites de Boris et Théo même si je trouve le livre très bien écris.
    Me conseillez-vous de persister, est-ce que le roman va redémarrer plus fort à un certain moment?

    Merci par avance.

    Bon dimanche.

    • Bonjour Claire,

      Et merci pour votre commentaire ! Je pense que vous devriez poursuivre. La période Las Vegas n’est effectivement pas la meilleure du roman. Cependant, les événements vont se précipiter et le roman va vraiment redémarrer, vers la partie la plus intéressante de l’intrigue. Vous ne le regretterez pas !

      Au plaisir de vous recroiser sur le site !

      Emily

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