Le week-end du 21 au 24 mars a vu se tenir, à Paris, le traditionnel Salon du Livre dont le pays invité, cette année, était l’Argentine. Café Powell vous propose donc de poursuivre cette découverte littéraire, en vous parlant des romans argentins lus par l’équipe !
Vivian Lofiego est argentine, parle français, et partage sa vie entre Paris et Buenos Aires. Le Sang des papillons est son premier roman, mais elle a écrit de nombreux recueils de poésie, traduits en français.
Argentine, 1976. Aux lendemains du coup d’état, une Junte militaire commandée par Videla, Massera et Agosti prend le pouvoir. S’installe alors une drôle d’ambiance, et un climat délétère. La méfiance est reine, les gens sont terrifiés. Les opposants de gauche, traqués comme des bêtes, se terrent.
Tamara n’a que sept ans, et elle vit cette époque avec un regard candide d’enfant. Autour d’elle, pourtant, des gens « disparaissent » mais Tamara n’a pas encore conscience de la situation, qu’elle ne va pourtant pas tarder à appréhender avec une nette acuité. Une nuit, Tamara est réveillée par un bruit suspect. Alors qu’elle arrive dans le salon de la grande maison, plongé dans l’obscurité, Tamara assiste à une scène surréaliste : son père est emmené, de force, par des hommes cagoulés. Ils le frappent, le jettent dans une voiture, et démarrent sur les chapeaux de roues. C’est la dernière fois que Tamara voit son père. Commence alors une nouvelle vie, pleine de silence et de solitude. Ana, sa mère, plonge dans le désespoir et se coup de tout : du monde, de la vie, de sa fille. Angélica, la grand-mère de Tamara, tente de soutenir la famille. Mais le silence est pesant.
Le silence devient le centre de la vie de cette famille brisée : il ne faut pas parler des mauvaises choses aux mauvaises personnes, il ne faut parler ni de ce qu’il se passe dans la cave, ni des documents licencieux enterrés dans le jardin et surtout, surtout, il ne faut pas parler de ce qu’il s’est passé durant la nuit fatidique. Pour éviter que le reste de la famille ne soit aussi emmené et, qui sait, balancé depuis un avion dans le Río de la Plata, au cours d’un « vol de la mort », comme l’a peut-être été Hector, le père.
Tamara n’abandonne pas l’idée (utopique ?) qu’un jour, son père rentrera, et que sa vie rentrera dans l’ordre. En attendant, c’est avec des yeux d’enfant qu’elle appréhende son quotidien, grevé par le silence qui étouffe la maison. Peu à peu, Tamara noue les fils de la terrible situation qu’elle vit, et comprend que son futur ne s’annonce pas rose.
Le Sang des papillons offre un contraste saisissant entre le fond et la forme : porté par une plume élégante, délicate, dont l’apparente fragilité n’est pas sans rappeler celle de l’innocente Tamara. Le roman contient difficilement une violence latente, et dresse une ambiance éminemment sombre, ressuscitant l’horreur de l’époque. L’auteur questionne le silence qui entoure Tamara, et qui va motiver sa recherche assidue, quasi désespérée, de la vérité. On n’ignorera rien de ses fantasmes et rêves concernant l’endroit où se trouve son père, et les éventuelles retrouvailles qu’ils pourraient avoir. On n’ignore rien non plus des cruelles prises de consciences et désillusions qui sont les siennes. En témoigne cette scène de barbecue familial, durant lequel Tamara s’aperçoit brutalement que l’agneau qui cuit… est celui avec lequel elle jouait la veille encore. Et les explications d’un adulte bienveillant –pense-t-il – ne sont pas pour la rassurer quant à son avenir :
« J’avais le corps en feu, je ne cessais de pleurer en leur demandant pourquoi ils avaient tué mon ami.
Un adulte voulut m’expliquer, croyant ainsi me calmer, que les plus forts – eux – mangeaient les plus faibles – nous -, car telle était la loi de la survie. Les hommes chassaient les animaux pour se nourrir, les mettaient en captivité et au bout d’un certain temps les mangeaient sans scrupules.
Ceux qui avaient emmené papa, ceux qui avaient tué Mme Paletti, étaient les plus forts, le monde était plein de chasseurs qui vivaient à l’affût de ceux qui ne pensaient pas comme eux. »
Vivian Lofiego, avec ce premier roman, est loin de livrer un réquisitoire agressif. De sa plume élégante, elle s’attache à dresser le portrait, tout en nuances, d’une vie brisée, la dictature en simple toile de fond. Et c’est ce qui fait toute la force de ce texte.
Le Sang des papillons, Vivian Lofiego. JC Lattès, 05/03/2014.
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