Si vous être bibliophile et geek sur les bords, vous lirez rarement de romans aussi enthousiasmants que M. Pénombre libraire ouvert jour et nuit. Oui, on peut aimer le vieux cuir et le papier qui fleure bon les ans, et s’intéresser de très près à la technologie. Et pour cela, quelle ville plus appropriée que The City by the Bay, alias San Francisco, la ville de tous les contrastes ?
Pour Clay, la crise a été relativement dure. Le jeune graphiste venait de trouver son premier emploi quand l’entreprise qui l’employait a fait faillite. Commence alors la ronde des dépôts de CV et les candidatures spontanées un brin désespérées. Car désespéré, Clay l’est quand il en vient à postuler pour un emploi de vendeur de nuit à la librairie de M. Pénombre.
Drôle de librairie que cette boutique plus haute que longue, ouverte 24h sur 24h pour les boulimiques de lecture, mais qui est déserte la majeure partie du temps. C’est une librairie à l’ancienne, bien poussiéreuse, avec des rayons de trois mètres de haut et des échelles à l’ancienne sur lesquelles crapahuter. Plein d’enthousiasme, Clay se lance dans plein de projets pour développer la librairie, de la publicité très ciblée Google à une modélisation 3D de la librairie. Mais très rapidement, le jeune homme va se rendre compte qu’un étrange club de lecture pioche régulièrement dans les étagères de la librairie, et que les ouvrages qu’on lui a défendu de lire sont écrits en code (quoi de plus normal ?). C’est avec l’aide de sa petite amie Kat, googleuse passionnée par son métier, et avec son ami d’enfance Neel que Clay va tenter de percer le mystère.
Ce n’est pas très compliqué, dans le récit de Robin Sloan, ancien de Twitter, on aime tout, ou presque, du lieu où il a situé son intrigue à son personnage principal, en passant bien entendu par cette fameuse enquête sur les livres que renferme cette étrange librairie. Avoir fait de San Francisco le lieu principal de l’histoire était une bonne idée, à plusieurs titres : c’est une ville passionnante, et bien que relativement récente selon nos critères franchouillards, chargée d’histoire. Mais c’est également une ville très ouverte sur les nouvelles technologies, située juste à côté de Mountain View, le siège de Google, ou encore de Palo Alto, celui de Facebook. Ce qui permet à Robin Sloan de donner au géant Google un rôle non négligeable dans le roman, grâce au personnage de Kat, enthousiaste et ambitieuse, persuadée que grâce à Google on peut tout faire, tout savoir et, pourquoi pas, construire un monde meilleur. Grâce à cette jeune fille, vous découvrirez les locaux de Google et en apprendrez davantage sur le fonctionnement de la firme, ainsi que sur ses technologies.
Entre Google, et la secte de bibliophiles sur laquelle Clay enquête, on pourrait croire qu’il y a un véritable gouffre. Mais finalement tout est très cohérent. Clay représente l’enthousiasme de la jeunesse qui pense sincèrement que, grâce à la technologie, on pourra résoudre les énigmes du passé. Jeune homme très actuel, biberonné à la fantasy, il nous raconte avec humour et simplicité son histoire. On ne peut rêver narrateur plus sympathique. Les seconds rôles ne déparent pas. A part peut-être Kat, qui devient vite agaçante, les personnages qui gravitent autour de Clay sont tous attachants, dont le fameux Monsieur Pénombre, vieux monsieur érudit avec qui on prendrait volontiers un café sur Market St. Ou dans un bar sympa de New York, car dans le cadre de son enquête, Clay s’envole pour la Grosse Pomme, sur les traces d’une société secrète qui place le livre au centre de leur vie (des gens bien en somme.) Robin Sloan mélange une nouvelle fois technologie et bibliophilie, car au programme de cette visite new-yorkaise on trouve au cœur de l’énigme un des tous premiers éditeurs, Aldo Manuce, un codex à déchiffrer, et la manière de pirater un bouquin. Oui, oui, tout ça à la fois. D’ailleurs, Robin Sloan évoque en filigrane la situation des librairies américaines. On peut le voir notamment dans une scène précise du roman, quand notre ami Clay rencontre Jad, un Googleur spécialisé dans le scan des livres :
» Je ne suis pas de la maison, avoué-je. Je travaille dans une vieille librairie.
– Ah, super ! fait Jad avant de s’assombrir. Ou plutôt…désolé !
– Désolé pour quoi ?
– Ben, parce qu’on vous supprime votre boulot. » p. 115
En somme, si vous êtes un amoureux des livres, vous ne pouvez pas passer à côté de M. Pénombre libraire ouvert jour et nuit. Vous aurez vous aussi envie de crapahuter sur les échelles de la librairie, de laisser courir vos doigts sur les dos reliés de cuir, et de souffler sur la poussière des volumes craquelés par le temps.
M. Pénombre libraire ouvert jour et nuit, Robin Sloan. Michel Lafon, 2014.
Par Emily Vaquié
Hoouu, il a l’air vraiment top celui-là !