Son nom à elle est inconnu de tous, sauf des universitaires. Aristote, le grand philosophe dont le nom est lui, bien connu, en faisait pourtant mention dans son testament : à sa mort, sa fille Pythias devra épouser son lointain cousin Nicanor.
C’est le point de départ du nouveau roman d’Annabel Lyon qui, après avoir publié Le Juste Milieu, continue à s’intéresser à l’Antiquité. Le Juste Milieu nous plongeait dans le quotidien viril et guerrier d’Aristote et d’Alexandre le Grand, dont il était le précepteur. Aristote, mon père se veut être le pendant féminin de ce roman : Annabel Lyon, que nous avons eu la chance de rencontrer à Paris, nous explique qu’elle voit les deux romans comme une seule et même histoire. Dans Aristote, mon père, il lui semblait important de s’intéresser au quotidien des femmes : s’il est facile de trouver des informations sur la vie d’une femme célèbre, que l’Histoire a préservé, c’est compliqué de savoir comment était la vie des femmes en général nous a-t-elle notamment expliqué. Nous savons bien sûr comment elles s’habillaient, et quel était leur rôle dans la maisonnée, mais au fond, que pensaient-elles ? Qui étaient-elles ?
Aristote, nous explique Annabel Lyon, était un homme brillant, mais n’en était pas moins esclavagiste et profondément machiste : comment un homme aussi intelligent pouvait-il penser que les esclaves et les femmes étaient des êtres inférieurs ? Il avait pourtant une fille, qu’il aimait tendrement : comment pouvait-il envisager qu’elle était d’une intelligence limitée ? C’est à partir de cette question qu’Annabel Lyon a construit son intrigue, en imaginant une enfant curieuse et très aimée de son père, prête à tout pour suivre ses enseignements. Enseignements qu’Aristote lui dispense volontiers, jusqu’au grand chamboulement de l’adolescence : c’est comme si Aristote réalisait seulement que Pythias est une femme au moment de ses premières règles. A ses yeux, la jeune fille aurait dû naître garçon : mais elle est femme, et donc avant tout destinée à porter des enfants et à s’occuper de son foyer. La fracture entre l’enfance de Pythias et sa vie de femme est douloureuse.
Pythias grandit donc dans l’admiration de son père, avec un petit frère qu’elle jalouse. Quand Aristote recueille Myrmex, un jeune garçon de l’âge de Pythias, et lui accorde peu à peu davantage d’attention qu’à sa fille, celle-ci comprend pleinement toute l’injustice de sa position, d’autant que Myrmex n’a que faire de la philosophie d’Aristote.
Le ton employé est résolument moderne et dynamique : c’est un souhait de l’auteur, qui voulait rendre la vie de Pythias particulièrement accessible et proche de nous. De même, l’usage de la première personne du singulier est un choix raisonné : Annabel Lyon pensait tout d’abord écrit à la troisième personne, mais le récit était froid, et manquait de tension. Le travail sur la langue était également primordial pour l’auteur : en VO, les Athéniens parlaient en anglais britannique, tandis que les Macédoniens s’exprimaient en anglais américain, pour montrer le décalage entre Athènes et la Macédoine. Le résultat est un roman vif et agréable à découvrir, avec une écriture très visuelle qui nous rend Athènes très réel.
Au fil du récit, Pythias se cherche : elle refuse une vie conventionnelle, va explorer différents métiers. La fiction a bien plus sa place dans ce roman que dans le précédent, auquel Annabel Lyon a consacré beaucoup de temps, ne serait-ce que pour les recherches : elle explique avoir mis huit ans pour écrire Le Juste Milieu, contre deux pour Aristote, mon père.
C’est un roman très réussi et très complet que nous offre Annabel Lyon, qui est par ailleurs un auteur très sympathique et accessible. Son prochain projet concernera-t-il l’Antiquité ? Eh non, cette fois, c’est Vancouver de nos jours qui intéresse Annabel Lyon. Nous avons hâte de découvrir ce nouveau texte !
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