Le Clan suspendu : une dystopie avec un grand D

C’est un premier roman surprenant que nous offre Denoël en cette rentrée littéraire : Le Clan suspendu serait un croisement surprenant entre Antigone et The Hunger Games. Un mélange qui a de quoi étonner ! « Inoubliable » proclame également le bandeau. Qu’en est-il vraiment ?

Le Clan suspendu est effectivement original, ce premier roman détonne dans une rentrée littéraire par ailleurs plutôt classique. Passées les premières pages, qui nous déroutent, on plonge dans le récit pour ne plus le quitter avant la fin : c’est bel et bien une histoire addictive que nous propose Etienne Guéreau. Nous vous invitons à lever les yeux, dans la forêt, sous les frondaisons : c’est là que tout se passe, dans un village suspendu dans les arbres. C’est là que vit Ismène, douze ans, avec sa famille. Tous vivent de la cueillette et de la chasse, en harmonie avec la nature, et répètent inlassablement les vers d’Antigone, la tragédie de Sophocle. Les rituels et les codes rythment leur vie. Chaque jour est semblable au précédent. Jusqu’au jour où le fragile équilibre du clan bascule : le jeune Hémon, tout à la fougue de sa jeunesse éclatante, décide de renverser l’ordre établi. Il est persuadé que la génération précédente a suffisamment régné et est prêt à tout pour asseoir sa jeune autorité. Ismène observe impuissante la prise de pouvoir du jeune garçon, d’autant plus effrayée qu’Hémon la couve d’un regard gourmand…

Etienne Guéreau a su inventer un village complet, vivant en autarcie au milieu des arbres, avec ses rituels immuables et son mode de survie basé sur le respect de la nature et le bon vouloir des éléments. Tout cela reste très précaire, très fragile car seuls quelques élus sont habilités à descendre des arbres pour chasser et cueillir de quoi nourrir tout le village. En effet, le clan est persuadé qu’une ogresse particulièrement véloce et vorace rôde au pied des arbres et que seule la hauteur les protège de ses appétits. Hémon est l’un des jeunes chasseurs : il a obtenu depuis peu le droit de se joindre à l’expédition et en tire une assurance qui lui permet d’envisager un coup d’état, tout simplement. Il est jeune, fort et ambitieux : le lecteur le découvrira également cruel, d’une cruauté qui lui soulèvera le cœur. Etienne Guéreau n’hésite pas à évoquer des réalités bien glauques : la violence s’invite parfois au sein du clan. Ces scènes ne sont pourtant jamais gratuites, et servent totalement le récit. Cela nous démontre encore une fois à quelle point la vie dans la forêt peut être impitoyable, combien la survie dans les arbres restent fragiles.

Le Clan suspendu, Etienne Guéreau, Denoël

Et pendant ce temps là, nos personnages continuent de citer Sophocle à tout va : la pièce a progressivement déteint sur les habitants du clan. Les personnages portent les noms des héros : Antigone, bien sûr, mais également Hémon, Ismène, Créon… Hémon croit également aux divinités grecques : parfois, la frontière entre la fiction et la « réalité » est bien ténue. Le microcosme imaginé par Etienne Guéreau tient donc la route, et si les questions se multiplient au fil du récit (que font-ils dans les arbres ? que s’est-il passé ?) alors que les signes d’une vie antérieure empreinte de modernité se révèlent de plus en plus importants (des avions dans le ciel, des ciseaux en plastique…), elles trouvent toutes leurs réponses à la fin du roman. Cette histoire peu commune permet à l’auteur d’aborder des sujets plus universels que la vie dans les arbres, comme la force des rituels ou les rebellions de l’adolescence (quoique exacerbées !). L’histoire que va vivre Ismène va lui permettre de grandir : la gamine effacée des débuts va devenir une véritable femme forte, contrainte par les événements de prendre son destin en main.

C’est un récit très original, une vraie bonne surprise. Le Clan suspendu est effectivement une dystopie, au sens utopie qui a mal tourné. Mais c’est une dystopie qui ne ressemble à aucune de celles auxquelles on est habitués. Et ça, ça fait du bien !

Le Clan suspendu, Etienne Guéreau. Denoël, août 2014.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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