Cette année c’est Pommerat qui ouvre la danse. Ce metteur en scène, déjà été très présent sur les plateaux la saison dernière, est de retour en ce début d’automne dans les théâtres parisiens, avec la reprise de sa pièce La réunification des deux Corées à l’Odéon, ou encore sa création Cet Enfant, joué aux Bouffes du Nord.
Les inconditionnels de Pommerat retrouveront tout ce qui fait le charme de ses spectacles. Il n’y a pas de surprise au rendez-vous. Et l’on ressent même une petite pointe de déception en sortant du théâtre. Mais ce sentiment est surtout dû au fait que l’on connait bien Pommerat maintenant, et qu’on fait les difficiles, que l’on attend si ce n’est mieux, du moins quelque chose de différent. Surtout l’on avait vu par l’an passé les deux excellents Au monde et Les Marchands en comparaison duquel souffre Cet Enfant.
Il s’agit d’un petit spectacle, d’une durée d’une heure et des poussières de temps, fait de petites saynètes tournant autour d’un même thème. Une forme qu’il avait déjà utilisé pour La Réunification des deux Corées, dans lequel il auscultait les diverses facettes des relations amoureuses. Avec Cet Enfant, il est encore beaucoup question de sentiments, de sentiments parentaux cette fois-ci.
C’est la rencontre de femmes vivant dans des cités en Normandie qui a inspiré l’écriture de ce spectacle. Mais l’Initiative en revient à la Caisse d’Allocations Familiales du Calvados cherchant un théâtreux pour développer un projet autour de la question de la parentalité. Rien d’étonnant si une telle structure a fait appel à Pommerat, lui qui est toujours resté à l’écoute du bruit du monde, de ses diverses questions sociales. Il reste toutefois à des lieux d’un théâtre documentaire et d’un réalisme brut. Cet Enfant a été tiré de témoignage, de rencontres, mais il n’en a pas fait un texte anecdotique. Pommerat semble s’être concentré sur ce qu’il y avait de plus excessif dans les relations familiales. Il y a un côté presque monstrueux chez ces parents, aimant leur progéniture de façon trop possessive, les enfermant dans leurs attentes et projetant sur eux leurs espoirs les plus fous. On aime toujours trop ou pas assez. Une fille avoue cruellement à son père qu’elle ne ressent pour lui aucune affection et qu’elle ne voit pas en quoi cela est problématique. Désemparé cet homme en vient presque à mendier un petit signe –même infime- de tendresse. Il semble, à l’instar de bien des parents dans ce spectacle, faible, démuni, profondément vulnérable. L’on assiste même à une forme d’inversion, l’enfant dominant le rapport de force. Les confrontations sont parfois violentes, les mots durs et cruels, lourd de tout ce qui a été retenu et débordant maintenant sous forme de haine, colère, angoisse, tendresse et affection. On ne compte plus dans ce spectacle les scènes d’aveux et d’explication… Mais est-ce une parole juste ? Il est effectivement beaucoup affaire de sentiments, l’on frôle parfois le pathos, mais le tout contrebalancé par une forme très particulière d’humour, un peu grinçant qui sauve la donne.
Dans Cet Enfant l’action dramatique est bien souvent mise de côté au profit de l’échange, qu’il soit le lieu d’expression sentiments des personnages, ou bien qu’il serve à pousser l’autre à l’aveu. La matière verbale est l’un des objets centraux de ce spectacle. L’on y retrouve encore une fois le « parlé » Pommerat, sa façon bien à lui de jouer sur les contrastes entre les chuchotements presque inaudibles et les cris, entre voix parlée et chantée.
Pommerat tisse certes les paroles et les mots mais il n’en oublie pas pour autant les corps de ses comédiens. Ce n’est pas qu’il leur demande un engagement physique plus poussé que la moyenne. Ce metteur en scène opère plus finement. Le plateau est toujours vide de décors. Un minimalisme met particulièrement bien en valeur la présence physique des comédiens, la façon dont ils occupent l’espace. Dans Au monde on avait été époustouflé par la sophistication et la délicatesse des déplacements et des mouvements. Pommerat savait savamment faire contraster éloignement et proximité. Chose que l’on retrouve par moment dans Cet Enfant. Dans une très moindre mesure.
Le gros point noir de Cet Enfant est qu’il porte la touche personnelle de Pommerat tout en étant moins abouti que d’autres spectacles. Cela est toujours aussi efficace et séduisant, mais le dispositif employé devient quelque peu systématique… On est face à ce même espace vide, cette même obscurité trouée de plages de lumières froides… On retrouve encore une fois cette atmosphère particulière, presque irréelle. Cette impression incroyable que les choses sont en suspension, en léger retrait. Étrangeté qui affleure parfois dans Cet Enfant dans les meilleurs moments. Il mêle toujours à cette esthétique quasi abstraite à un texte plutôt réaliste, au style direct. Sans fioriture. Seul petit changement, dans Cet Enfant, en fond de scène joue un big band de jazz joue dissimulé derrière une toile translucide, rendue laiteuse et opalescente par l’éclairage. Mais cela n’est guère nouveau, la musique n’est jamais absente dans le théâtre de Pommerat.
Soyez le premier à commenter