Les Indomptées : notre coup de cœur en littérature française !

Si on devait avoir un seul coup de cœur à la rentrée en littérature française, cela serait probablement pour la fresque familiale aveyronnaise brossée par Nathalie Bauer. Il faut vous avouer que l’on est généralement sensible à ces grandes épopées qui courent de décennie en décennie, à travers les événements les plus marquants du siècle. Mais Nathalie Bauer n’a pas seulement produit une fresque magistrale, c’est également un roman sensible, aux personnages construits avec minutie, qui nous touchent en plein cœur.

Les Indomptées, ce sont deux sœurs, Noélie et Julienne, et leur cousine Gabrielle qui, à quatre-vingt ans passés, vivent à trois dans la vieille demeure familiale et survivent tant bien que mal dans cette grande bâtisse qui se détériore chaque jour davantage. Ah, qu’il est loin le temps de l’âge d’or du domaine, l’époque où les Randan était la famille la plus aisée du voisinage ! Nous sommes en 1987, et les trois vieilles dames veillent tant bien que mal sur leur héritage. Deux événements vous bouleverser leur quotidien. Elles acceptent tout d’abord d’héberger leur nièce Zoé, vingt-quatre ans, dépressive et suicidaire. Noélie décide ensuite de reprendre la plume, elle qui a autrefois connu la gloire littéraire, pour conter l’histoire de la famille. Nous voilà donc, par un lumineux matin de 1904, sur le point de célébrer les noces d’or des grands parents des trois femmes. Nous sommes à l’apogée de la fortune des Randan, le domaine a été mené d’une main de fer par Edouard, le patriarche, qui contemple avec bonheur en ce jour de liesse ses trois fils, ses deux filles, et tous leurs enfants. Que la période est insouciante ! Mais l’Histoire va rattraper les Randan. Avec la guerre de 1914, envolés les projets d’Henri, le fis aîné. La crise de 29, puis le temps qui passe, et les héritiers qui se dispersent achèveront de précipiter la chute de la famille.

Jamais mariée, Noélie porte un regard plein de nostalgie sur sa vie : la vieille femme, qui a connu l’ivresse des années 20 dans un Paris déluré, regrette les jours d’été d’autrefois où, avec ses nombreux frères et sœurs, elle grimpait aux arbres et jouait dans les champs. Julienne, elle, a vécu une passion qui n’a eu d’égale que son désenchantement après le mariage : elle vit au domaine avec son fils Jo, quinquagénaire simplet qu’elle surcouve. Enfin, Gabrielle a consacré sa vie aux bonnes œuvres et à la religion, sans jamais se faire bonne sœur pour autant. Les trois femmes n’ont finalement pas grand chose en commun, si ce n’est ce passé lointain et heureux.

Nathalie Bauer nous plonge dans les premières années de ce siècle mouvementé, pour notre plus grand bonheur : grâce à des descriptions précises, et à de nombreux clichés émaillant le récit, la vie des Randan prend forme sous nos yeux. Nous nous attachons aux personnages : Henri, le nouveau patriarche, bon et juste, profondément attaché à sa terre, Louis, son frère, médecin, Virginie, la grand-mère sévère et rigide, et toute la ribambelle d’enfants qui, sous nos yeux, deviennent adultes. Nous vivons avec eux de plein fouet l’horreur de la première guerre mondiale. Nous secouons la tête de concert avec Henri face à l’enthousiasme des jeunes qui rêvent d’en découvre. Nous compatissons avec la peine de la famille, quand le deuil vient la frapper. Chacun des personnages est construit, dense : un relief plus que bienvenu ! Certains d’entre eux nous touchent plus, bien entendu. On songe notamment à la jeune Madeleine et à son amour chaste et silencieux pour le bras droit de son père, une idylle touchante de discrétion.

Les Indomptées, Nathalie Bauer, Philippe Rey

De retour dans les années 80, nous avons alors l’impression de retrouver de vieilles amies. Gabrielle qui nous agaçait dans sa jeunesse nous paraît adoucie dans son grand âge. Noélie, véritable femme forte, émeut par sa volonté de préserver l’unité de la famille. Julienne agace gentiment avec ses caprices. Et si Zoé semble le pur produit de son époque, elle n’en est pas moins intéressante à suivre. On voudrait parfois la secouer, mais le trio de choc de Randan s’en charge pour nous, fort heureusement.

Nathalie Bauer nous offre une fresque familiale très touchante : on sent une véritable tendresse de sa part pour ses personnages de papier, ce que l’on comprend à la fin quand on lit dans les remerciements qu’elle s’est inspiré de sa famille maternelle. Si vous redoutez un roman très « terroir », n’ayez crainte, ce n’est pas que ça. La terre est bien évidemment omniprésente : les Randan sont avant tout des agriculteurs, et le domaine est bel et bien le point d’ancrage de la dynastie. Mais ce roman est bien davantage. Vous l’aurez compris, nous vous le conseillons avec chaleur.

Les Indomptées, Nathalie Bauer. Philippe Rey, août 2014.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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