Cette année, nous commémorons le centenaire du début de la Grande Guerre, ces quatre ans terribles qui nous ont fait brusquement basculer dans un XXe siècle meurtrier et chargé d’histoire. Dans Ravages, Louisa Young s’intéresse au difficile retour à la maison après quatre années d’horreur, de mort et de violence. C’était tout bonnement l’enfer et, tel Orphée, nos héros en sont revenus. Louisa Young s’attache à décrire la réadaptation de ces deux soldats, Riley et Peter. Le premier est ce que l’on appelle une « gueule cassée » : sa mâchoire inférieure a été emportée et il a dû subir de nombreuses et lourdes opérations pour retrouver visage humain. Cependant, Riley conserve des difficultés à manger et à parler, et le traumatisme vécu par son visage reste visible de tous, à sa grande gêne. Peter, lui, boîte et rentre profondément marqué par la guerre, dévasté psychologiquement.
Si le premier retrouve sa fiancée, Nadine, aimante et dévouée, et l’épouse bien rapidement, Peter, lui, rejoint une épouse et un fils bien incapables de comprendre ce qu’il a subi au fond des tranchées. Chacun des membres de ce quatuor a souffert du conflit et, à l’image du pays tout entier, il leur faut maintenant reconstruire sur les ruines de leur vie d’antan. Comment peut-on songer à l’avenir quand tout peut subitement être balayé par quatre années d’enfer ? Qu’il était doux le temps de l’avant-guerre…
Nos deux couples cherchent leurs marques et doivent retrouver un semblant d’équilibre. La vie conjugale n’a rien de simple, entre quiproquos et rancœur. Ainsi, Riley et Nadine n’osent de prime abord consommer leur union : Riley redoute que son visage révulse sa jeune épouse, et Nadine prend cette retenue pour la conséquence de séquelles physiques empêchant l’acte. Quant à Peter, il se réfugie dans la boisson, tournant le dos à Julia, sa jeune épouse désemparée.
Rien n’est simple dans ce roman de Louisa Young, qui montre avec psychologie et doigté qu’un retour à la normale après quatre années d’horreur a tout d’un chemin de croix. Elle décrit avec justesse le difficile regard de l’autre sur le corps blessé, mutilé, et l’incompréhension de ceux qui ne sont pas allés au front face au traumatisme de ceux qui y ont vécu l’innommable. Réussir à oublier la peur constante, le deuil, la culpabilité du survivant pour se laisser aller au bonheur n’est pas une chose aisée.
Mais, à côté de cela, ce sont les années 20 qui commencent et qui entraînent avec elles un vent de modernité : Rose, la cousine de Peter, rêve d’anticipation. Elle refuse de se plier au rôle qui aurait été le sien ne serait-ce que dix ans plus tôt, celui de mère et d’épouse, pour oser vouloir devenir médecin. Nadine décide de prendre son corps en main grâce à la contraception. Julia, elle, envisage même de vivre librement sa vie de femme. Mais la tragédie frappe de nouveau, rappelant que la vie peut parfois être cruelle.
Louisa Young nous dresse un admirable portrait de cette année 1919, où l’on ose enfin relever la tête et regarder vers le futur, mais où le deuil se fait encore pesant. Année charnière, 1919 s’avère un véritable tournant pour les héros de Je voulais te dire.
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