Une ambiance délicieusement surannée et un mythe usé jusqu’à la corde revisité pourtant avec maîtrise : il n’en faut pas plus pour faire de La Soif primordiale un de ces romans à atmosphère que l’on lit avec délice. Avec le héros, Santiago, le lecteur va de venelles sombres en librairies antiques, d’hôtels abandonnés en salles de rédaction désuètes. Attachez vos ceintures, c’est parti pour le Buenos Aires des années 50 !
Santiago est un jeune garçon que le hasard fait journaliste. Tout d’abord réparateur de machines à écrire (ah, la douce musique des touches que l’on frappe vivement !), Santiago est promu rédacteur de la rubrique ésotérique du journal qui l’employait jusque là à des tâches de maintenances. Avec le poste vient un rôle d’informateur pour le ministère de l’occulte. Santiago est un jeune homme moderne, il ne croit pas au surnaturel. Pour lui, ceux qui prétendent lire l’avenir sont au mieux des escrocs, au pire des fous. Quand on lui confie une enquêtes sur les antiquaires, et que ledit dossier suppose de passer un week-end dans un hôtel désaffecté de la ville, le jeune homme rechigne. Mais il n’a pas le choix, et s’exécute.
Les antiquaires sont des êtres comme figés dans le temps, qui semblent ne plus vieillir et craignent la lumière diurne : ils amassent les choses anciennes, d’où leur nom. Vampires ? Le terme n’est jamais évoqué, mais « la soif primordiale », cette quête de sang vorace et désespérée, ne laisse plus aucun doute. Chez Pablo de Santis, les vampires sont des êtres hors d’âge, qui conservent des liens étroits avec le monde des hommes, et forment une confrérie soudée. Ils tiennent plus de ceux d’Anne Rice que de ceux de Stephenie Meyer, inutile de le préciser. Santiago est novice dans ce monde. Il bascule d’un monde moderne et terre à terre vers une nouvelle vie dans une librairie d’occasion confidentielle, où sous l’égide de son mentor, il essaie d’apprivoiser sa nouvelle nature. Et si la première partie tenait plus du roman policier d’antan, avec le personnage du flic un peu zinzin qui se sert de sa voiture comme bureau et une atmosphère presque « chandlerienne », on bascule brusquement vers le fantastique.
Santiago voue une passion brutale et vaguement tragique à une jeune femme déjà promise à un autre. Les jeunes gens appartiennent à des camps différents. Une fois Santiago basculé du côté des antiquaires, son amour devient encore plus difficile à porter : de plus, les antiquaires finissent toujours par causer la mort de ceux qu’ils aiment. Santiago connaît alors une période de doute, tournant le dos à ses amis, s’enfonçant dans une vie solitaire et sordide. On vous l’a dit, La Soif primordiale est avant tout affaire d’ambiance : les rues sombres que fréquentent Santiago, les petites chambres meublées dans les pensions où il vit, la librairie comme cachée du monde, tous ces lieux sont décrits avec une grande finesse, et contribuent à bâtir une atmosphère délicate, sombre, presque désespérée. Plus de passé, plus d’avenir, juste un interminable présent dans le Buenos Aires des années 50.
La Soif primordiale, Pablo de Santis. Folio, août 2014. Traduit de l’espagnol par François Gaudry.
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Par Emily Vaquié
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