Le voyage d’Octavio, un premier roman très réussi !

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Caracas 1908, la peste débarque, venue de la Trinidad : pour la vaincre, des croyances, une effigie de Saint en bois et une procession de village. Ainsi se construisent la légende vénézuélienne du citronnier du Seigneur, une église sur les lieux du miracle, Saint-Paul du Limon, et un bidonville à flanc de colline. Ce livre est celui d’un voyage, la fois métaphorique et réel, qui entraîne Don Octavio de son bidonville natal à la recherche de lui-même.

Octavio est un colosse discret, effacé, cherchant l’ombre et l’anonymat, handicapé par un analphabétisme qu’il cache depuis 50 ans en se mutilant la main « en habitué ». La violence de l’analphabétisme est posée avec justesse et sensibilité, des nombreuses stratégies de celui qui sait ni lire ni écrire aux difficultés quotidiennes qu’il apprend à contourner, en passant par le silence, l’isolement et la honte. Une vie de « résistance et de servitude » en l’absence d’alphabet et de mode d’appréhension du monde.

Le voyage d’Octavio commence avec la rencontre d’une femme, et grâce à elle, avec l’apprentissage des lettres, mots et grammaire. Octavio se met à entrevoir du sens aux choses, aux gestes et aux actes.

Le jour où il prend conscience de sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive, il décide de partir. De rencontres en rencontres, traversant solitudes et paysages, il apprendra à donner au lieu de prendre.

Le Voyage d'Octavio

L’écriture très visuelle de Miguel Bonnefoy, faite de phrases courtes et de juxtaposition d’images, donne au récit une sobriété qui étonne dans la luxuriance de détails. Sa force est de ne jamais être dans l’excès, presque classique dans les accords parfaits de temps du passé, et jouant de la distanciation et du contraste. En particulier dans les descriptions des paysages du Venezuela, quand la nature semble de plus en plus présente et vivante, tandis que s’accentue le dénuement et la plongée dans l’intimité d’un homme.

Doucement s’opère une fusion entre le personnage d’Octavio et  la nature, fusion portée par le style et par le rythme. Un tempo parfois très rapide où un chapitre fait défiler 50 années, puis des scènes où chaque geste compte, comme au ralenti, où l’on écoute respire, touche. Et ressent. Une vraie qualité de conteur, cent histoires dans l’histoire sans que jamais le lecteur ne perde le fil.

On pense à Garcia Marquez évidemment, mais aussi à Michel Tournier et son roi des Aulnes pour ce personnage de colosse, mélange d’innocence et de brutalité, ou aux amants statufiés des Visiteurs du soir. Une pointe de fantastique nous rappelle qu’on est sur le continent du réalisme magique et que l’on peut y perdre ses repères.

Tout voyage prend fin quand on pose ses bagages. Octavio retrouvera l’église devenue théâtre, son quartier bétonné et la statue du Saint de bois à laquelle il consacrera sa force de vie.

Un récit puissant, sans ostentation, qui emporte dans le cœur simple d’un homme auquel les mots ont longtemps manqué. Un premier roman très réussi.

Le Voyage d’Octavio, Miguel Bonnefoy. Payot & Rivages, janvier 2015.

Par Isabelle

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