Incroyable Frog Music !

Frog Music, Emma Donoghue, Stock

San Francisco est une ville fascinante, à l’histoire des plus intéressantes. Ville cosmopolite, à l’expansion rapide, le San Francisco de la deuxième moitié du XIXe siècle n’est pas sans évoquer la mythique ruée vers l’or, l’aventure et la liberté. Avec Frog Music, Emma Donoghue situe son intrigue trente ans après l’âge d’or du Gold Rush et trente ans avant le grand tremblement de terre, une période passionnante à découvrir.

A l’été 1876, la ville de San Francisco est frappée d’un double fléau : une intense canicule accable ses habitants et la variole fait des ravages. Mais Blanche Beunon fait fi de ces contrariétés et arpente Chinatown avec élégance et insouciance. Débarquée de France un an et demi auparavant avec son amant Arthur, ancien trapéziste au Cirque d’hiver et Ernest, le meilleur ami de celui-ci, Blanche est ce qu’on appelle une cocotte de luxe, et elle mène sa barque plutôt bien, exhibant ses gambettes au House of Mirrors avant de ferrer le client dans un des hôtels voisins. Blanche, Arthur et Ernest s’imaginent vivre la vie de bohème. Dans les faits, Blanche gagne de quoi les entretenir tous les trois en écartant les cuisses, pendant qu’Arthur et Ernest jouent ses revenus en se donnant des grands airs. Mais Blanche est plutôt satisfaite de sa vie… jusqu’à ce qu’elle rencontre l’incroyable Jenny Bonnet.

Le lecteur est prévenu, dès l’incipit : Jenny se fait tuer dès la page 11 et son meurtre est annoncé dès la quatrième de couverture. Le récit alternera entre le récit de la rencontre entre Blanche et Jenny, et les suites du meurtre de la jeune femme. Le lecteur reconstitue donc peu à peu la chaîne des événements, et apprend à connaître Jenny, un personnage anticonformiste, qui s’habille en homme et chasse la grenouille…

Frog Music, Emma Donoghue, Stock

On ne pourrait imaginer deux personnages plus dissemblables. Hautaine et sensuelle, Blanche se pique d’une élégance à la française et aime séduire. Androgyne et aventureuse, Jenny vit au jour le jour et porte sur la vie un regard philosophe. Sous son influence, Blanche va peu à peu remettre en question son existence, et tout particulièrement sa relation avec Arthur et Ernest, qu’elle va peu à peu voir enfin pour ce qu’ils sont : deux parasites doublés de brutes.

Frog Music est à la fois une enquête, une fresque historique et une peinture sociale. Nous voilà plongés dans la réalité de la vie en Californie en 1876, le lecteur parcoure en même temps que Blanche aussi bien les rues encombrées de Chinatown que la campagne déserte et poussiéreuse de l’arrière-pays. Nous découvrons une ville en plein développement, une véritable fourmilière écrasée de chaleur, qui redoute les tremblements de terre et les incendies, la variole et les émeutes. Les tensions raciales sont très importantes, les Américains se montrant très méfiants envers la diaspora chinoise.

Quant à Blanche, elle joue sur les clichés de la femme française : élégante et de petite vertu, elle charme et croque la vie à pleines dents et met de côté toutes les responsabilités qui pourrait entraver son mode de vie, y compris un enfant, qu’elle a eu avec Arthur à la descente du bateau et qu’elle a fait mettre en nourrice. Avec elle, le lecteur découvre l’atmosphère confinée et sulfureuse des bordels san-franciscains, et la violence sous-jacente de ce commerce se dévoile en filigrane, par petites touches. Blanche est une prostituée de luxe, qui ne fait pas mystère de son activité, se pavanant dans les rues dans des tenues très recherchées, très colorées qui attirent le regard. Jusqu’à sa rencontre avec Jenny, elle accepte pleinement cet état de fait. « Il n’y a pas de sot métier » lui dit-elle quand Jenny lui demande comment elle est passée d’écuyère du Cirque d’hiver à Paris à putain de luxe à San Francisco. Blanche aimerait donner une image glamour de son activité, mais le lecteur n’est pas dupe et voit très bien ce que Blanche décide d’occulter : le parasitisme de ses deux « macs », la violence verbale dont elle est parfois l’objet, les manigances odieuses de la tenancière du House of Mirrors…

L’enquête, quant à elle, ne reprend pas la trame classique d’un roman policier. Après le meurtre de Jenny, Blanche se retrouve avec trois impératifs : survivre, retrouver son fils qu’Arthur a enlevé, et essayer de faire punir le meurtrier de Jenny, qui, pour Blanche, est forcément Arthur. Mais pour une femme seule, sans logis, sans argent et sans amis, le retour à San Francisco n’est pas aisé… et mener l’enquête non plus !

Frog Music est tiré d’une histoire vraie. Emma Donoghue a fait des recherches méticuleuses et parvient à rendre à la perfection l’atmosphère de l’époque. Ajoutons, pour ne rien gâcher et achever de vous convaincre, que la couverture est magnifique. En somme, ce roman est une vraie perle, à découvrir sans plus attendre !

Frog Music, Emma Donoghue. Stock, mai 2015. Traduit de l’anglais par Christine Barbaste.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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