C’est dans un New-York post-apocalyptique, hanté par un attentat dévastateur qui a fait vaciller Times Square, un des lieux les plus emblématiques des Etats-Unis, qu’évolue Spademan, le Fossoyeur, tueur à gages de son état. Autrefois, Spademan était un homme normal, avec une épouse et un emploi avouable, bien que peu reluisant. Il était éboueur dans une des villes les plus touristiques du monde. Désormais, il est toujours d’une certaine façon dans le traitement des ordures. Il ne demande que deux choses : un nom et une somme rondelette qu’il se contente d’amasser sans jamais la dépenser. Il tue tout le monde, sauf les enfants.
Un jour, quand on lui demande de tuer la fille du célèbre télévangéliste T.K. Harrow, une gamine paumée de tout juste dix-huit ans, Spademan se prépare à devoir débusquer la jeune fugueuse dans les endroits les plus glauques de New York, y compris dans les camps de réfugiés lépreux qui couvrent Central Park. Mais en mettant enfin la main sur la jeune femme, Spademan ne peut se résoudre à l’éliminer. Pire : il se surprend à vouloir la protéger. Mais Harrow, qui a commandité le meurtre de sa propre fille, n’est pas un homme qui accepte qu’on le contrarie.
Dans le monde imaginé par Adam Sternbergh, l’humanité préfère se réfugier dans une réalité virtuelle où l’on peut modeler le monde selon ses désirs les plus fous. Si New York s’est peu à peu vidée de ses habitants, ce n’est pas qu’à cause des attentats qui l’ont secouée : les plus riches d’entre eux ont préféré « s’enlimner ». Un jour, on renonce et on se couche : une perfusion au bras, on se branche sur le réseau et on oublie peu à peu le monde réel. Le monde bascule peu à peu dans les rêves. Spademan, lui, est douloureusement relié à la réalité, par son veuvage, et par la mort, qu’il donne encore et encore. C’est pourtant un personnage très humain, même s’il aime à se décrire comme sans âme. Il est en effet encore capable d’éprouver des sentiments, d’être touchée par une adolescente inconnue.
Quel coup de poing, ce roman ! Adam Sternbergh dessine à coups de cutter un monde totalement convaincant, et dépeint avec beaucoup de talent un New York décimé et squatté d’une part, et un univers virtuel où tout est permis d’autre part. Il jette les bases d’un monde au potentiel énorme, qui fourmille de possibilités, qu’on espère voir exploré dans de nouveaux romans. Il jongle avec les codes du roman noir : Spademan semble tout droit sorti de l’un d’entre eux, on l’imagine bien volontiers la clope au bec, sanglé dans un imperméable, un feutre vissé sur la tête. Son style est sec, minimaliste, les phrases sont courtes et les tirets des dialogues passent mêmes à la trappe. Le récit et les échanges entre les personnages se mélangent, pour un résultat encore plus efficace. Adam Sternbergh a tout d’un grand ! D’ailleurs, Hollywood ne s’y est pas trompé, et vient d’acquérir les droits d’adaptation… Affaire à suivre !
Le Fossoyeur, Adam Sternbergh. Denoël, 2015. Traduit de l’anglais par Florence Dolisi.
J’ai vraiment bien aimé l’ambiance qui se dégageait de ce livre 🙂