Un peu de poésie avec Le Facteur émotif !

Le Facteur émotif, Denis Thériault, Anne Carrière

Si vous avez aimé Le Liseur du 6h27, alors vous aimerez très probablement Le Facteur émotif. Dans ces deux jolies histoires, on retrouve un héros plutôt solitaire, au métier simple étroitement lié avec l’écrit, à la vie désespéramment vide. Quand le héros de Jean-Paul Didierlaurent subtilise des pages des livres qu’il pilonne, celui de Denis Thériault, facteur, dérobe certaines des lettres qu’il doit distribuer, les ouvre à la vapeur, se repaît de leur contenu, et les rend à leur propriétaire ni vu ni connu…

Bilodo mène une vie qui n’a rien d’extravagant : il vit seul avec son poisson rouge, se passionne pour la calligraphie et l’art épistolaire. Il est célibataire, et ne manifeste aucun désir que cela change : son meilleur ami l’a même surnommé Libido, pour railler son absence de vie sentimentale. La seule chose qui égaille son existence, ce sont les lettres qu’il subtilise, qu’il lit, photocopie et collectionne. Parmi toutes les missives qu’il conserve, celles de Ségolène se distinguent. Cette jeune institutrice écrit à un certain Grandpré de magnifiques haïkus qui ont su toucher le cœur de Bilodo, à tel point qu’il est peu à peu tombé amoureux de cette inconnue qui vit à des milliers de kilomètres de chez lui.

Cela aurait pu continuer ainsi pendant très longtemps mais un événement imprévu fait basculer le fragile équilibre qui unit le trio Bilodo/Ségolène/Grandpré. Et c’est désormais Bilodo qui écrit à la douce Ségolène…

Le Facteur émotif, Denis Thériault, Anne Carrière

C’est une douce histoire, pourtant tragique par bien des aspects, que nous offre Denis Thériault. On ne peut que louer la beauté de son style, dans le récit que dans les nombreux haïkus qui émaillent l’histoire de Bilodo. La poésie occupe en effet une place de choix dans l’intrigue : c’est le lien qui unit les protagonistes et l’amour que porte Bilodo aux lettres japonaises ne peut manquer de rejaillir sur le lecteur, qui admire la simplicité et la pureté de ces vers. Même le néophyte saura apprécier la brièveté de cette forme théâtrale, qui lie l’éphémère au permanent. On suit avec plaisir les tâtonnements poétiques du personnage, son immersion dans une culture lointaine qu’il connaît mal.

Ajoutons à cela que la correspondance épistolaire a beaucoup de charme et permet de voir s’épanouir une très belle relation entre nos personnages, libérée du trivial, et entièrement consacrée à l’art. Le quotidien est tenu à distance et les sentiments peuvent pleinement s’épanouir, se révéler sous la plume des personnages. Le lecteur sent monter la tension : comment cela va-t-il finir ? Assistera-t-il au dénouement de cette étrange histoire d’amour, à la fois sensible et sensuelle, dématérialisée et charnelle ? La fin, magistrale, surprend et séduit. C’est une réussite de bout en bout.

Le Facteur émotif, Denis Thériault. Anne Carrière, 2015.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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