Sur Café Powell, nous avons décidé d’inaugurer un nouveau rendez-vous, intitulé « Visages du livre » qui nous permettra de mettre en lumière un métier du monde du livre, et plus tard, espérons-le, de la culture. Cette semaine, c’est Tara Lennart, journaliste, qui répond à nos questions !
En bref, parles-nous un peu de ton métier ! Si tu devais le décrire à quelqu’un qui n’y connaît absolument rien, comment le pitcherais-tu ?
Je pourrais dire qu’il s’agit de donner envie à des gens de lire des livres qu’ils n’ont pas lus et, éventuellement, dont ils n’ont même pas entendu parler… ça a l’air un peu abstrait mais c’est assez vrai ! Il s’agit à la fois de faire ressortir les meilleurs aspects et l’intérêt d’un livre (la critique négative ne m’intéresse pas trop… C’est vraiment amusant à écrire, mais au final, ça n’apporte pas grand chose, puisqu’on donne souvent quand même envie de lire le vilain livre) en étant assez convaincant et concis pour ne pas endormir notre interlocuteur. Je vois ce métier comme une forme de transmission. Non pas de savoir, loin de là, mais d’idées, de ressenti, de vécu. C’est un partage, une manière de prolonger le plaisir de lecture et de le diffuser auprès d’une cible réceptive.
A quoi ressemble une journée type de travail pour toi ?
Il est assez rare que j’arrive à avoir deux journées qui se ressemblent… Comme beaucoup de gens, ou en tout cas de journalistes dans des secteurs artistiques, je cumule un travail (que je m’amuse à appeler « vrai travail ») le jour : journaliste cuisine et voyages dans une rédaction ; et retrouve le côté obscur littéraire et confidentiel le soir et tout le reste du temps. Au final j’ai des journées très denses et diversifiées, mais j’aime ça. Je lis dès que j’ai un instant de libre et les chroniques s’écrivent dans un coin de ma tête, où elles restent stockées jusqu’à ce que j’écrive… Mon cerveau ressemble à une partie de Tetris en accéléré, souvent.
Je découvre beaucoup de projets, de maisons d’édition, d’initiatives par mes partenaires, par les maisons avec lesquelles je travaille déjà, ça fait des petites boules de neige un peu dans tous les coins, et c’est très motivant.
Quels ont été ta formation et ton parcours ?
J’ai la chance d’avoir une mère issue de la presse nationale française. Quand on veut faire ce métier depuis son plus jeune âge, c’est un atout ! J’ai voulu, après le bac, démarrer le parcours classique « prépa-master- etc. » mais j’ai vite déchanté et tout abandonné. La prépa, il y avait trop peu de littérature, la fac, trop de verbiage et un niveau qui ne me motivait pas du tout. Je suis rentrée en stage dans une rédaction et je n’en suis plus partie, ce qui m’a donné une certaine sécurité financière, et une source d’enrichissement professionnel et d’apprentissage. Et tout de même assez de temps libre pour lire ce que je voulais comme je voulais… puis avoir l’idée de développer des idées autour de ce qui me porte depuis toujours : la littérature. C’est un peu atypique, mais ça me correspond bien !
As-tu des conseils à donner à quelqu’un qui souhaiterait devenir également journaliste littéraire ?
Je ne suis pas certaine qu’il y ait de meilleurs conseils que d’autres… Sois humble, patient, têtu, infatigable, acharné… Lis tous les jours, tout le temps, et même quand tu auras tellement lu que tu haïras la lecture, continue. Il faut vraiment persévérer. Etre sûr qu’on aime non seulement écrire, mais lire, emmagasiner des informations sans cesse, quitte à revoir sa culture personnelle, la mettre à jour ou la développer. C’est un métier magnifique, mais c’est très cérébral.
Quelles sont les idées reçues que tu entends le plus sur le journalisme ? Celles qui t’énervent comme celles qui te font rire ?
La meilleure idée reçue, et celle qui me fait le plus sourire est « vous payez rien, tout le monde vous offre tout et vous êtes blindés » (il y a aussi : « vous servez à rien », « vous êtes des vendus aux éditeurs / auteurs / gouvernement / attachés de presse »). J’aime bien l’idée que des gens perçoivent le journalisme comme une profession presque bling-bling. C’est extrêmement difficile de gagner sa vie en étant journaliste ! Et une carte de presse ne signifie pas qu’on pourra interviewer Mick Jagger backstage… Il est vrai que je reçois beaucoup de services de presse, et ça fait partie des fonctionnements du métier. Un journaliste musique reçoit des disques et des invitations pour de concerts, un journaliste littéraire reçoit des livres et des invitations à des événements littéraires, c’est normal. Ah ! il y a aussi les gens qui pensent qu’un journaliste a tous les droits. Personnellement, montrer ma carte de presse à un policier ne m’empêchera pas de payer une amende si j’ai grillé un feu rouge…
Quels sont tes livres de chevet ? Ceux que tu conseillerais absolument, comme ceux que tu lis en ce moment ?
En ce moment, je lis Médium les jours de pluie de Louis-Stéphane Ulysse (Editions le Serpent à Plumes) et les épreuves de La Couleur de l’eau de Kerry Hudson (Editions Philippe Rey), deux très bons livres ! Je suis toujours en retard dans mes lectures, pas vraiment dans l’absolu mais par rapport aux plannings que j’essaie de me fixer. Mais sinon je recommanderais très vivement les livres dont je parle dans BooKalicious, qu’il s’agisse des chroniques vidéos ou du joyeux fourbi écrit (chroniques, readlists etc).
Après, en livres fétiches, livres de chevet, c’est un peu le bazar, parce que bon… J’ai Les Fleurs du Mal de Baudelaire, L’Attrape-Cœur de Salinger, American Psycho de Bret Easton Ellis, Les Illuminations de Rimbaud, des livres de photos, un peu… Nan Goldin en ce moment.
En librairie, qu’est-ce qui fait que tu t’arrêtes (ou non) sur un livre ?
J’ai l’air d’une maniaque dans une librairie ! J’adore le toucher des livres, leur odeur… En général, tout ce qui est dans « meilleurs ventes » me fait passer mon chemin. Quand je déambule, je m’arrête sur les titres, souvent, parfois sur les couvertures, mais en France, on est quand même moins clinquants qu’en Angleterre ou aux USA. C’est souvent une question de « tilt » sur un titre, sur ce qu’il va générer comme interrogation ou sentiment au moment où je le vois qui m’amène à l’acheter. Sinon quand je sais ce que je veux, je passe quand même environ 45 minutes à slalomer dans les rayons, et repars avec trois ou quatre livres en plus… Un cauchemar pour les pauvres impies qui ont parfois le malheur de rentrer avec moi dans une librairie…
Quel genre de lectrice es-tu en règle générale ? Arrives-tu à lire sans songer aussitôt à ce que tu diras plus tard du livre ?
Je suis une lectrice compulsive. Je lis plusieurs livres en même temps. Je corne les pages, je souligne des passages. Il y a des livres partout chez moi, c’est une catastrophe ! J’ai su lire très tôt et je ne me suis jamais arrêtée. J’ai même maîtrisé la lecture rapide à un moment, mais je devenais complètement cinglée et perdais le plaisir de lire pour lire. Je mets un point d’honneur à lire en entier les livres dont je parle, pas quelques pages et l’argumentaire de l’éditeur. Depuis plusieurs années, j’ai développé un goût certain pour la littérature américaine, underground et un peu trash, mais j’essaie de ne m’enfermer dans aucun style, de toujours découvrir.
C’est parfois assez difficile de lire sans la grille mentale réflexe, mais j’y arrive. Éventuellement en lisant des livres que j’ai achetés et qui sommeillent sur ma « PAL » (Pile A Lire) depuis 95 semaines ou mois, et non des livres récents reçus en service de presse. Mais ce n’est pas toujours facile de débrancher le système !
Comment est né le projet « BooKalicious » ? Près d’un an et demi après le lancement, quel bilan en dresses-tu ?
Le projet BooKalicious est né, comme beaucoup de choses que je fais, d’ailleurs, sur un déclic. Un tilt. « Il n’y a pas de Booktube animé par des journalistes en France ». Je regardais pas mal d’émissions sur YouTube, sur les conseils de mon associé, Monsieur Achille. Je n’ai pas la télé et ne la supporte pas, mais j’aime bien savoir ce qui se passe, côté sorties cinéma, séries, jeux vidéos… Et j’avais envie de proposer la même qualité de programme en littérature. Alors je n’ai pas du tout la prétention de me situer sur un pied d’égalité avec de très bons YouTubeurs comme Fossoyeur de Films, mais j’ai été interpellée et j’ai eu envie de vivifier la chronique littéraire. On répète que les gens ne lisent pas, mais pourquoi ne lisent-ils pas ? Qui et quoi leur donne envie de lire ? Comment ? Et de lire quoi ?
Un an et demi après, le bilan est positif et encourageant : il y a de plus en plus d’abonnés, de vues, de partages, d’engagement, de likes, de partenaires qualitatifs. Pour nous, c’est une victoire! Le créneau choisi par BooKalicious est une petite niche dans la niche. Ce n’est pas seulement un Booktube, c’est un Booktube qui parle de littérature indépendante, de petits éditeurs, d’écrivains pas toujours très connus mais qui ont une voix, une démarche, une âme. Il peut m’arriver de parler de « gros », mais c’est très rare. Alors je doute d’arriver à 97 980 abonnés et à être la reine de YouTube un jour mais comme ça n’est pas spécialement mon objectif, ça me va! Je le disais tout à l’heure : mon but est le partage, l’échange, la découverte. Pas de donner mon avis sur des gros cartons de box-office, des livres « young adult » ou romantiques ou ultra connus, il y en a qui le font très bien et qui aiment, tant mieux!
En tant que journaliste, que penses-tu de l’explosion des blogs de lecteurs ?
Tout est une question de qualité, je pense… et de proximité. La presse « classique » a tendance à parler un peu toujours des mêmes éditeurs, mêmes auteurs et de la même façon, j’imagine que ça manque un peu de chaleur pour les lecteurs « normaux » (par là j’entends des gens qui aiment bien être guidés, orientés dans leurs lectures et pas des psychopathes capables d’acheter un livre qu’ils ne connaissent pas parce qu’il « sent bon »!). Les gens aiment bien qu’on leur parle franchement, et un lecteur touchera sans doute plus facilement un autre lecteur qu’un journaliste très pro, mais qui écrit avec ses codes. C’est sans doute un peu le revers de la médaille du métier : les gens se sentent exclus, parfois, par les angles élitistes ou un peu prétentieux de la presse. Après soyons honnêtes, il y a de véritables blogs affreux qui ne parlent que de littérature « pour filles » (ah la lecture a un genre?), fautes d’orthographe à la clé, mais il y a quand même de très bons blogs, tenus par des passionnés qui n’ont pas d’autres prétentions que de transmettre leur passion. Là je trouve ça intéressant et porteur, après c’est une affaire de goûts et de connivences. Bon, c’est peut-être un peu corporatiste, mais ce n’est pas non plus pour rien s’il n’y a qu’un seul Augustin Trappenard!
Tu es devenue également auteur. Comment passe-t-on de l’autre côté de la barrière ? Raconte-nous !
Comme la plupart des Français, j’écris… Mais je ne vais pas embêter les éditeurs sur les salons en essayant de leur vendre mon superbe roman historique, érotique et fantastique. J’ai commencé à écrire des histoires très vite quand j’étais enfant, et je ne me suis jamais arrêtée. Là où ça devient un peu compliqué c’est que l’éclectisme de mes lectures se ressent souvent dans ma façon d’écrire. Je n’obéis pas facilement. Par exemple, je préfère l’écriture à l’intrigue, et j’ai découvert que les éditeurs avaient un peu de mal avec cette idée, même dans des textes courts. L’année dernière, j’ai rencontré Franck-Olivier Laferrère, éditeur et créateur de la maison E-Fractions, et le courant est bien passé. J’ai bien aimé sa façon très libre d’aborder le monde de l’écriture, le métier d’éditeur, sans langue de bois ni postures, et à sa demande, je lui ai envoyé deux nouvelles qu’il a publiées… Et bientôt une novella.
Le temps me manque souvent, mais je ne conçois pas de vivre sans écrire. Je n’apporte rien de bien nouveau, mais j’essaie de travailler dans un esprit « franco-américain », avec la recherche un peu naturaliste et classique française jumelée au trash américain. Si j’arrive à écrire quelque chose avec une intrigue, et pas juste des états d’âme, des sentiments, des ressentis, peut-être qu’un jour il y aura plus de 14,5 personnes qui s’intéresseront à cet aspect de moi (rires). Et puis je pense qu’à force de lire, de lire, de lire, on a envie, au bout d’un moment, de voir ce dont on est capable, de se mesurer à ses dieux. La littérature n’est pas un hobby, c’est une raison de vivre.
Merci à Tara pour le temps qu’elle nous a consacré ! Nous vous invitons à vous brancher sans plus attendre sur BooKalicious !
Une interview très intéressante.
Concept très intéressant, à refaire! 😉