Quelque part au Danemark se joue le destin de l’héroïne de Ce cœur changeant lorsque, en 1887, son père arrive dans ce pays nordique pour y courtiser une jeune fille, Kristina. Le jeune homme découvre en sa promise une femme volcanique, égocentrique, terriblement séduisante. Il l’épouse. Quelques temps plus tard naîtra l’unique enfant du couple, Rose.
Ainsi commence Ce cœur changeant, le roman d’Agnès Desarthe, quelque part sur un lac près de Sorø, au Danemark… mais à c’est à Paris que nous retrouvons Rose, en 1909. La jeune femme vient de quitter son père pour vivre à l’aventure dans la ville lumière. Mais le rêve vire à l’aigre. Là voici bientôt femme de ménage, logeant dans une cave humide et insalubre… Alors que le XXe siècle se déroule, Rose va alterner plusieurs phases, de l’opulence à la ruine, ne connaissant pas de juste milieu, de l’euphorie des années folles à la misère digne du destin de la Gervaise de Zola.
Histoires multiples, personnalités multiples : Rose ne cesse d’évoluer, tout au long du récit. En filigrane, le lecteur découvre sa relation conflictuelle avec sa mère, au travers de nombreux flash-backs. Rose a grandi auprès d’une figure maternelle dévoyée, trop concentrée sur sa propre personne pour s’occuper décemment de sa fille, et très vraisemblablement bipolaire. La jeune fille se console dans les bras de sa nounou, la douce Zelada. Mais Zelada lui est arrachée, et la voilà déracinée, envoyée en Afrique. Puis, à Paris, nous le découvrons naïve et optimiste, prête à croquer la vie parisienne à pleines dents. Mais la vie n’est pas tendre avec elle. Elle ne trouve l’amour que pour mieux le perdre. Elle connaît la mendicité, les nuits sous des porches étroits, la drogue. Sa chute semble sans fin. Puis, une parenthèse. Pendant quelques années, Rose connaît une période de calme, de sécurité. Puis, de nouveau, la misère.
Le lecteur, effaré et désolé, assiste à cette déchéance déchirante, à son désespoir. S’il découvre la vie de salon dans le Paris des années 20, où l’on aime doucement provoquer et où l’on loue la culture sur tous les toits, il voit également que quand rien ne va plus, ces amis brillants et tapageurs sont les premiers à s’égailler, à vous laisser à vos ennuis. Rien ne semble pouvoir entraver la chute de Rose. Elle semble irréversible, inévitable. La vie de Rose est faite de hauts et de bas, et de très peu d’entre deux. Le lecteur n’arrive pas à quitter des yeux les pages, de crainte qu’un nouveau malheur ne vienne ébranler Rose en son absence…
Avec Ce cœur changeant, Agnès Desarthe met en scène une héroïne courageuse sur laquelle le destin semble décidé à s’acharner. Au-delà, l’histoire de Rose sert de prétexte à une fresque historique et familiale plus vaste. Au fil des pages, le lecteur voit le Paris de la Belle-époque se muer en la ville lumière des années folles, et l’avènement des années 30. Il voyage au Danemark et à Paris, déchiré entre ces deux pays à l’instar de Rose, qui confronte en permanence ses deux identités. Difficile de ne pas s’émouvoir face à l’égoïsme criant de la mère de Rose, ou l’indifférence maladroite de son père. Ce qui sonnait au début du roman comme un caprice adolescent – quitter sa famille, tenter l’aventure de l’indépendance -, ne peut manquer de se parer d’accents tragiques au fil des pages. Un roman vraiment intéressant.
Un roman de la rentrée littéraire qui me tente énormément! Merci pour cette chronique.