Dans un monde où, pour beaucoup, quotidien est synonyme de technologie, on remarque vite que les pratiques « de tous les jours » ne sont pas les seules à être affectées par le numérique. Toutes nos relations sociales, le monde du travail, mais aussi l’art s’en trouvent modifiés. Le numérique apporte à toute chose une nouvelle manière de fonctionner. On ne communique plus de la même manière, on ne lit plus ni ne regarde un film de la même manière.
Et dans cette ère nouvelle ou l’art contemporain rime souvent avec digital, on trouve de nombreux artistes tentés de voir ce que la mise en place d’un tel dispositif peut modifier, apporter à l’œuvre. C’est ainsi que Mourad Merzouki, dans le courant de l’année 2014, crée son spectacle Pixel, à mi-chemin entre hip-hop et science-fiction, puisant dans des ressources technologiques pour créer une mise en scène interactive, évoluant au rythme des corps de ses danseurs.
Mais dans cette constante attente d’une technologie qui apportera du nouveau, du jamais-vu, du spectaculaire, du remarquable, certains préfèrent se rattacher un peu plus aux « originaux », non pas par peur du nouveau ou de l’excès, mais parce qu’intimement, ils sont persuadés que ce que nous connaissons bien, ce que nous avons vu, ce que nous avons vécu, acheté, jeté, donné, vendu… peut encore nous offrir des sensations que la technologie ne peut peut-être pas combler.
Ces partisans de la sensation pure et authentique, et non pas du confort, ont encore à leur portée une multitude d’outils de création, de moyens de communication : le style vestimentaire Normcore fait son apparition comme une revendication. Il faut revenir à l’essentiel, retrouver l’efficacité de l’incontestable, dans l’esprit qu’on « ne sépare pas une équipe qui gagne ».
Mais ce « retour aux sources » ne s’arrête pas à une simple manière de s’habiller, et on trouve un peu partout des membres de cette communauté revendicatrice, cette communauté qui mène l’authentique au rang de rituel.
C’est là que prend toute sa place la pratique de la « photographie jetable ». Ancien ami bien connu de nos sacs-à-dos, de nos classes vertes et colonies de vacances, ce compagnon fidèle des aires d’autoroutes et des vacances en famille. Ce petit objet, à l’arrière-gout d’achat pratique parce que « ce n’est pas grave si on le fait tomber, si on le mouille, ou si on le perd », n’a jamais réellement disparu.
Ancré dans des habitudes empruntes de nostalgie, l’appareil photo jetable nous a permis de garder des souvenir de ces moments parfois inutiles (comme les voyages en car), drôles (les grimaces entre copains), ou extrêmement gênants (ce look des années 90 que tout le monde croyait oublié).
Et ce grain que l’on reconnait lors du développement, ces couleurs un peu âpres, cette lumière très mal gérée, mais aussi seulement le prix que l’on paye pour avoir accès à des photos dont on ne se souvient plus très bien, nous paraissent familiers. C’est là aussi que les personnes au look normcore trouvent leur bonheur : la familiarité. Et la joie de se retrouver face à quelque chose que l’on connait bien mais qu’on a toujours l’impression de redécouvrir. Les sensations toujours nouvelles et pourtant toujours nées d’un souvenir.
Mais au-delà de ces simples habitudes lointaines retrouvées, de cette authenticité certaine apportée non-seulement par la pratique, mais aussi par le résultat, on trouve un autre saisissement : celui de ne pas savoir. Celui d’oublier ce qu’on a pris en photo, celui de redécouvrir ce qui a été suspendu quelques jours, entre la photo et le développement. L’aléatoire d’une pratique qui s’imprimera de manière incertaine sur le papier. L’imprévu du rendu.
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